Le compte à rebours jusqu’à la fin du mandat du président Michel Aoun a commencé. Dans un peu moins de huit mois, le locataire de Baabda doit céder la place au 14e président de la République libanaise, sans qu’il ne soit aujourd’hui possible de déterminer le profil politique du prochain chef de l’Etat.

Le 31 octobre 2022, le Liban tournera la page d’un des pires mandats depuis l’indépendance. Un mandat qui semble aujourd’hui se démener dans tous les sens pour atteindre deux objectifs: consolider sa présence, avant cette échéance, à tous les niveaux des composantes de la structure étatique et paver la voie à l’accession du gendre du président actuel, Gebran Bassil, à la tête de la République, ou tout au moins préserver l’avenir politique de ce dernier après tous les échecs qu’il a enregistrés. L’une des manifestations les plus frappantes de cet échec est l’isolement politique du CPL, le parti fondé par le chef de l’Etat, lequel parti peut se targuer d’avoir pu garder un seul allié, le Hezbollah. Convergence d’intérêts oblige.

Michel Aoun avait pourtant essayé de sauver son mandat à la faveur de la formation du gouvernement de Najib Mikati, mais le duopole chiite, Amal et le Hezbollah, devait anéantir ses espoirs en bloquant le cabinet pendant des mois. Aujourd’hui, il ne lui reste plus qu’à sauver les meubles. Aussi, l’échéance législative de mai revêt pour le camp présidentiel une importance existentielle. Le tandem Aoun-Bassil se bat sur tous les fronts pour éviter que son bloc parlementaire, aujourd’hui le plus important quantitativement, ne soit réduit à sa plus simple expression dans la nouvelle Chambre. Il essaie de mobiliser à fond une base populaire dont une partie lui a tourné le dos, de se battre pour obtenir l’ouverture de mégacentres électoraux qui lui permettront de gagner plus de voix et d’essayer, jusque-là sans succès, de sceller des alliances gagnantes. En termes d’alliances, il ne peut pour le moment compter que sur le Hezbollah, cette formation armée pro-iranienne qui a toujours besoin de la couverture chrétienne et officielle que lui assure le camp présidentiel.

Selon les pronostics actuels, fondés non pas sur des chiffres précis, mais sur une analyse du paysage électoral, le CPL perdra au moins dix députés lors du scrutin de mai. Avec son allié chiite, il s’efforce aujourd’hui de limiter autant que possible les pertes et surtout d’empêcher son rival chrétien, les Forces libanaises, de constituer une majorité parlementaire chrétienne dans la nouvelle Assemblée.

On comprend dès lors les raisons pour lesquelles le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah avait récemment annoncé que sa formation va soutenir des listes dans les régions où elle n’a aucune présence physique. Toute voix perdue par le CPL au profit des FL est préjudiciable pour cette formation.

Les réunions se multiplient ainsi entre les deux courants alliés dans le but de choisir des candidats et de former des listes susceptibles de limiter autant que possible les pertes électorales aounistes. Pour le Hezbollah, il est important que le bloc du CPL ne tombe pas à moins de 19 députés. Le parti fondé par Michel Aoun croit qu’il lui est possible d’obtenir ce nombre alors que ses adversaires lui attribuent un maximum de 14 députés.

Le CPL et le Hezbollah vont se présenter au scrutin de mai sur des listes électorales communes dans la plupart des circonscriptions. Dans d’autres ils seront sur deux listes différentes, mais sur base d’une coordination claire autour de la répartition des voix, dans le but de garantir la victoire du plus grand nombre de candidats aounistes.

Parallèlement à ces considérations électorales, le tandem Aoun-Bassil essaie de briser l’isolement politique du chef du CPL, frappé de sanctions internationales, et semble engagé dans des manœuvres visant à rapprocher le chef du CPL des capitales qui suivent de près le dossier libanais, notamment Washington. C’est dans ce contexte qu’on peut situer les concessions faites par le Liban dans le dossier des pourparlers indirects avec Israël au sujet de la délimitation des frontières maritimes, ainsi que la vive condamnation libanaise de l’offensive russe contre l’Ukraine, applaudie par l’Occident.

Un rapprochement sur lequel le CPL mise énormément, surtout si les négociations entre Téhéran et Washington aboutissent et si la donne change de ce fait dans la région. D’aucuns redoutent d’ailleurs qu’avec un accord sur le nucléaire, la pression sur le Hezbollah au Liban ne soit levée, ce qui aura pour effet direct de renflouer ses alliés, notamment Gebran Bassil qui deviendra ainsi, avec le chef des Marada, un des principaux candidats à la présidence de la République.

Mais on n’en est pas encore là. L’ancien député Farès Souhaid analyse la situation en expliquant à Ici Beyrouth que les développements en Ukraine et l’isolement du président russe, Vladimir Poutine, vont pousser l’Iran à adopter une attitude plus rationnelle vis-à-vis de l’Occident, d’autant que la hausse continue des prix des carburants à l’échelle internationale va favoriser un rapprochement entre les Etats-Unis et les Arabes.

Quoi qu’il en soit, en attendant que la situation dans la région se décante, le Hezbollah va soutenir à fond son allié chrétien aux législatives, estime Farès Souhaid pour qui un sauvetage du mandat Aoun est pratiquement impossible. "Gebran Bassil sera toujours présent sur la scène politique dans l’après-Aoun, mais sans pouvoir", estime-t-il.

Un ancien cadre CPL, Antoine Nasrallah, est du même avis. "Faute de pouvoir sauver son mandat, Michel Aoun essaie de sauver sa personne et celle de son héritier politique d’une chute fracassante mais inévitable", dit-il à Ici Beyrouth, en expliquant les causes de l’échec du sexennat par "un certain nombre de facteurs". Il cite principalement l’isolement dans lequel le courant aouniste s’est placé du fait de son alliance avec le Hezbollah, le conflit irano-saoudien du Yémen jusqu’au Liban, dans lequel la formation chiite s’est engagée avec l’impact qu’on sait sur le pays, sans compter l’échec de sa politique financière et économique, le sexennat n’ayant pas été en mesure de proposer une politique rationnelle pour régler les problèmes accumulés à ce niveau mais qui ont fini par lui éclater à la figure.