La multiplication de catastrophes naturelles comme les inondations au Pakistan et les fortes canicules résultant du changement climatique sont une menace pour le patrimoine mondial. Le site pakistanais de Mohenjo Daro datant d’environ 3000 ans avant JC, a été impacté par les fortes inondations qui ont frappé le pays.

D’une des premières villes de l’histoire, il aurait pu ne rien rester après les tragiques inondations de cet été au Pakistan. Mohenjo Daro a survécu, mais le site incarne les menaces que le changement climatique fait peser sur le patrimoine mondial de l’humanité.

Apparue environ 3000 ans avant-JC, la métropole bâtie par le peuple de l’Indus, une mystérieuse civilisation qui s’est épanouie à l’Age de bronze dans le bassin du fleuve éponyme, a vraisemblablement dû son salut au génie de ses concepteurs.

Un des " berceaux " de l’humanité: le site de Mohenjo Daro, au Pakistan, date d’environ 3000 ans avant JC.

 

 

Ce très vaste site de briques aux rues géométriques, construit en hauteur par rapport au cours d’eau, était doté d’antiques canalisations et d’un tout-à-l’égout surprenamment fonctionnels, qui ont permis d’évacuer en partie le déluge s’étant abattu sur le Pakistan.

Alors que des moussons exceptionnelles entre juin et septembre, ponctuées de précipitations sept à huit fois supérieures à la normale en août, transformaient le sud du pays en un gigantesque lac, des " ruissellements extrêmement importants " étaient recensés à Mohenjo Daro, explique Thierry Joffroy, spécialiste de l’architecture en terre.

Les " 20 à 40 cm " d’eau qui ont " rempli des pièces " et provoqué " beaucoup d’écroulements ", selon cet expert ayant visité le site en octobre pour l’Unesco, ne sont toutefois rien par rapport à ce qu’a connu le reste du pays, parfois littéralement englouti.

Les pluies torrentielles ont provoqué des inondations records au Pakistan, causant la mort de 1 600 personnes (AFP)

 

 

Près de 1.600 Pakistanais sont morts, 33 millions d’autres ont été touchés dans les pluies torrentielles " probablement " aggravées par le changement climatique, selon le World weather attribution, un réseau de chercheurs.

Mais " la situation n’est pas catastrophique " à Mohenjo Daro, qui " pourra être remis en état ", estime M. Joffroy.

" Beaucoup de chance "

Le site pakistanais est " une victime " du climat ayant eu " beaucoup de chance ", acquiesce Lazare Eloundou Assamo, directeur du Patrimoine mondial de l’Unesco, instauré en 1972 et qui fêtera son 50e anniversaire jeudi et vendredi en Grèce.

Mohenjo Daro devait aussi célébrer le centenaire de sa découverte, en 1922, cette année. Or la métropole " aurait pu disparaître avec toutes les traces archéologiques " qu’elle contient, soupire-t-il.

La présence de sites historiques dans des zones naturelles pourraient augmenter les risques de leur dégradation (AFP)

 

 

Sur les 1.154 sites du patrimoine mondial de l’humanité, dont 897 sont des biens culturels, 218 sont des zones naturelles et 39 un mélange des deux, nombreux sont menacés par le changement climatique, affirment tous les experts interrogés par l’AFP.

Rohit Jigyasu, du Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM), pointe des " inondations, ouragans, cyclones et typhons " mais aussi les incendies " beaucoup plus fréquents " qui ont un " énorme impact " sur ces trésors.

Les méga-feux de forêt, qui vont crescendo sur le pourtour méditerranéen, étaient ainsi aux portes d’Olympie, en Grèce, lors de l’été 2021. Au Pérou, des glissements de terrain se sont produits cette année au pied du Machu Picchu.

Même dans ses déclinaisons les moins spectaculaires, le climat bouleverse l’équilibre des sites. En Australie, la Grande barrière de corail connaît des épisodes de blanchissement, du fait de la hausse de la température des eaux. Au Ghana, l’érosion a emporté une partie du fort Prinzenstein, qui servit à la traite négrière.

Effets " déstabilisants "

Les " facteurs lents ", " sans impact immédiat ", posent " de nouveaux défis dans la préservation des sites ", insiste M. Jigyasu, qui cite également les " termites " apparaissant dans les bois anciens, là où le temps, autrefois sec, s’est humidifié.

La France, qui " a perdu à peu près 30% de ses réserves d’eau ", constate, à l’inverse, un assèchement des sols aux effets " déstabilisants " pour son patrimoine, souligne Aline Magnien, directrice du Laboratoire de recherche des monuments historiques.

Du fait de cette sécheresse, " les sols se contractent et (…) font bouger les fondations ", puis " se regonflent brutalement quand il pleut ", ce qui provoque des " fissurations ", explique-t-elle. Moins irrigués, ils deviennent aussi plus durs, absorbant moins d’eau, ce qui favorise les inondations.

Les sécheresses provoquent un durcissement des sols, ce qui à termes favorise les inondations (AFP)

 

 

" On a peut-être certains patrimoines qu’on ne pourra pas sauver, qu’on ne pourra pas transmettre, qui seront peut-être voués à disparaître ", affirme Ann Bourgès, une chercheuse du ministère français de la Culture, qui appelle à " préparer une transition " avec " l’écosystème social " des sites concernés.

" Ce n’est pas uniquement le patrimoine qui est touché quand on en perd une partie, mais toute la vie sociale qu’il y a autour ", justifie Mme Bourgès, également secrétaire générale du Conseil international des monuments et des sites (Icomos), une ONG.

En Mongolie, des sites archéologiques n’ont pas seulement été abandonnés car " la population n’avait plus accès à l’eau ", remarque Rohit Jigyasu, ils ont aussi été " pillés ".

Ailleurs, des guerres pour l’eau sont déjà envisagées, dont le patrimoine ne devrait vraisemblablement pas ressortir vainqueur.

Avec AFP