Présente en Syrie depuis 2015, la Russie a apporté un soutien décisif au président Bachar el Assad. Depuis, la Syrie semble engluée dans un statu quo, marqué par le désintérêt des puissances occidentales. La guerre en Ukraine lancée en février 2022 par l’offensive russe pourrait cependant impacter le rapport de force en Syrie.

 

Soutien diplomatique de la Syrie dès 2011, c’est en 2015 que la Russie accroit son influence dans le pays en apportant un soutien militaire et stratégique au gouvernement syrien. Depuis, l’intervention russe a globalement atteint tous ses objectifs :  maintien du président Bachar el Assad au pouvoir, instauration de bases stratégiques en Méditerranée orientale, et affirmation de la Russie comme puissance décisive au Moyen-Orient. Mais la prolongation de la guerre en Ukraine pourrait avoir des conséquences sur la politique russe en Syrie.

Un désengagement militaire à relativiser

Selon un rapport du New York Times, la Russie aurait rapatrié certains de ses armements et soldats pour consolider ses forces en Ukraine. Alors que selon les estimations, 63 000 soldats russes auraient été déployés en six ans en Syrie, il reste difficile de définir le nombre de militaires russes présents actuellement dans le pays. Selon le rapport Military Balance 2022 publié par International Institute for Strategic Studies (IISS), les forces terrestres russes compteraient environ 4000 soldats en Syrie.

Un point de contrôle conjoint entre les armées syrienne et russe à Qamichli, au nord-est du pays (AFP)

 

Deux responsables occidentaux interrogés par le New York Times avaient en outre estimé mi-octobre que la Russie avait rapatrié entre 1200 et 1600 soldats de Syrie, remplacés par des officiers de la police militaire. Les rapatriements concerneraient également un certain nombre d’officiers russes ayant fait leurs armes en Syrie. Parmi eux, le général Sergueï Sourovikine a été nommé début octobre commandant chargé des opérations militaires en Ukraine. En parallèle, les dirigeants militaires russes ont passablement délaissé la gestion des opérations en Syrie pour se concentrer sur l’Ukraine.

Enlisée en Ukraine, la Russie a transféré en août un système de défense anti-aérien S-300 en Crimée. Des transferts de plusieurs navires militaires ont également été observés. La Russie maintient cependant son système de défense anti-aérien S-400 dans le pays, chargé uniquement de la défense des positions russes en Syrie. Les frappes en Syrie ont en outre baissé en intensité selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

Ce désengagement est cependant à relativiser, la Russie ayant annoncé à plusieurs reprises vouloir diminuer ses effectifs en Syrie, et ce avant le début de la guerre. " Le dispositif russe en Syrie a été allégé depuis longtemps ", confirme à Ici Beyrouth le chercheur Frédéric Pichon, qui estime que " ces rotations récentes n’augurent pas d’un désengagement du contingent russe qui reste somme toute assez léger et relativement efficace ". Il semble en revanche que Moscou optimise le déploiement de ses troupes en Syrie afin de concentrer ses efforts sur le terrain ukrainien.

Atout de taille, la Russie dispose de deux bases stratégiques en Syrie : une base navale à Tartous et une base aérienne à Hmeimim près de Lattaquié. Ces bases garantissent à la Russie un accès stratégique à la Méditerranée et à l’Afrique, tout en permettant un déploiement militaire rapide dans la région. D’autant plus que la Syrie sert de plateforme logistique et de transfert notamment de mercenaires entre l’Afrique et la Russie. En raison des tensions croissantes avec les pays européens et les États-Unis, ces bases sont donc d’un intérêt hautement stratégique pour l’accès de la Russie à la Méditerranée orientale.

Le président russe Vladimir Poutine et le général Sergueï Sourovikine, nommé début octobre commandant chargé des opérations militaires en Ukraine (AFP)

 

Malgré les difficultés croissantes en Ukraine, un désengagement total des forces russes en Syrie est donc peu probable. D’autant que l’intervention en Syrie dépend d’un déploiement militaire totalement différent de l’Ukraine. En effet, elle est principalement basée sur les forces aériennes et la police militaire. Ces forces sont moins utiles en Ukraine, car elles font face à des systèmes anti-aériens de pointe.

D’autre part, la Russie a été accusée de recruter des mercenaires syriens pour renforcer ses effectifs. L’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) affirmait dès le mois de mars que plus de 40 000 Syriens avaient été recrutés pour combattre en Ukraine. Un chiffre étourdissant, alors que 22 000 candidatures auraient déjà été approuvées par Moscou.

Signe d’un enlisement patent de la Russie en Ukraine, ces chiffres sont cependant largement mis en doute par les experts qui estiment que les recrutements et transferts de mercenaires syriens en Ukraine sont purement anecdotiques. " La campagne de recrutement a été un échec cuisant. Quelques dizaines seulement d’hommes ont été envoyés dans le Donbass, affectés à des tâches subalternes ", confie à Ici Beyrouth le chercheur Frédéric Pichon.

Conséquences régionales

La prolongation du conflit ukrainien pourrait avoir des répercussions sur les différents acteurs régionaux. " Pour l’instant, les Russes ne pâtissent pas trop en Syrie des effets de la guerre en Ukraine ", estime Adlene Mohammedi, directeur scientifique du centre de recherche stratégique AESMA (Paris). " Les interlocuteurs de Moscou ne lui ont pas tourné le dos et la Russie continue de jouir du statut de puissance tutélaire, voire  stabilisatrice ". Mais ces différents interlocuteurs semblent avoir été renforcés par " l’affaiblissement " de la Russie.

Le retrait de système de défense anti-aérien S-300 constitue une opportunité pour Israël qui a toujours ménagé la Russie dans sa guerre en Ukraine. En effet, la coopération avec la Russie est une condition indispensable pour Israël afin de mener ses bombardements contre les positions iraniennes en Syrie. L’allègement des équipements russes en Syrie pourrait inciter Tel Aviv à augmenter ses frappes, mais également à apporter un soutien militaire aux Ukrainiens.

La Syrie, la Russie et le Hezbollah à l’honneur au souk al Hamidiyé de Damas (AFP)

 

Une position qui pourrait impacter l’Iran, deuxième soutien majeur de Damas après Moscou. Téhéran craint en effet que l’allègement du système de défense russe puisse constituer une menace pour ses forces en Syrie. Tous deux alliés de Bachar el Assad, l’Iran et la Russie sont également en concurrence sur le sol syrien. Une lutte d’influence qui exprime en outre l’espoir de bénéficier des retombées de la reconstruction syrienne. Un certain désengagement russe notamment dans le sud pourrait permettre à l’Iran de prendre la place des forces russes. Alors que la Russie est focalisée sur l’Ukraine, l’Iran a multiplié les rencontres avec le gouvernement syrien afin de renforcer son influence. Cependant, frappé par les troubles politiques et les sanctions occidentales, l’Iran ne peut assumer seul le contrôle de la Syrie.

La Russie doit composer également avec la Turquie, un acteur de taille dans le conflit syrien. Bien que soutien de l’opposition syrienne depuis le début de la guerre, le président Erdogan reste ouvert aux négociations avec Moscou. En effet, depuis 2020 la politique turque vise surtout à lutter contre les velléités indépendantistes kurdes et à éviter tout nouvel afflux de réfugiés syriens. Sur base de cette réalité, la Russie tente depuis plusieurs mois de réconcilier Erdogan et Assad afin de stabiliser la situation en Syrie. Une position encouragée par les récentes déclarations d’Erdogan qui a affirmé qu’il ne pourrait exclure le dialogue avec le gouvernement syrien.

La menace migratoire reste un atout pour Moscou afin de faire pression sur les occidentaux et la Turquie. En usant de son veto au conseil de sécurité de l’ONU, la Russie peut en effet bloquer l’aide migratoire dans les zones rebelles, une menace qu’elle a utilisée a de nombreuses reprises. " La Russie (comme le pouvoir syrien, par ailleurs) a toujours manifesté un certain scepticisme face à l’aide humanitaire transfrontalière car, pour elle, l’aide humanitaire ne devait pas passer par des zones contrôlées par des rebelles ", confie à Ici Beyrouth Adlene Mohammedi. Si la Russie mettait sa menace durablement à exécution, la crise humanitaire pourrait déclencher une nouvelle vague migratoire menaçant l’Europe et la Turquie.