Malgré la fin des empires coloniaux, qui appartiennent à un temps révolu et qui ont placé de nombreux pays en voie de développement sous tutelle, mandat, protectorat, notamment en Asie, en Afrique et en Amérique latine, certains pays peinent à dépasser les traumatismes de cette époque qui ont imprégné les imaginaires des peuples tant sur les plans politique, économique ou même affectif. Le cas de l’Algérie est un exemple qui illustre parfaitement ces propos au regard de ses relations tumultueuses et tourmentées avec la France depuis des décennies.

La colonisation française de l’Algérie, qui a duré de 1830 à 1962, a été ponctuée par de nombreuses tentatives de "franciser" le pays. Une période encore omniprésente dans la mémoire collective du peuple algérien et des autorités officielles algériennes successives. En effet, les Algériens réclament des excuses de la France, qui se font d’ailleurs toujours attendre, concernant l’époque coloniale.

C’est à croire que les deux pays se gardent bien d’aborder les dossiers historiques épineux, malgré l’importance de reconnaitre les erreurs du passé, notamment du côté français, pour aller de l’avant et effectuer le travail nécessaire de mémoire.  Régler la question de la mémoire commune est fondamental pour assainir les rapports, bâtir des relations stratégiques et se réconcilier de manière pérenne.

Lors de la visite de la Première ministre française, Elizabeth Borne, en Algérie depuis quelques semaines, deux dossiers délicats ont été écartés des travaux de la commission mixte franco-algérienne. Le dossier de la "mémoire", qui revêt une grande importance pour l’Algérie, mais sur lequel Paris émet des réserves, et celui des visas français pour les Algériens, dont le quota a été sensiblement réduit, pour des considérations liées au débat politique qui fait rage en Europe au sujet de l’immigration et de l’afflux de réfugiés en général, et non seulement des Algériens. L’affaire du navire Ocean Viking transportant 234 migrants, qui a dû naviguer en vain le long des côtes européennes des semaines durant, n’est qu’un exemple frappant de l’exacerbation de ce problème.

En réalité, Paris a récemment réduit le nombre de visas délivrés aux Algériens passant de 400 000 visas par an à 180 000 uniquement.  Ces décisions " administratives " sont certainement liées à des considérations politiques et affecteront le libre mouvement des personnes, tel qu’il a été ordonnancé dans le cadre de l’accord signé entre les deux pays en 1968. En effet, cet accord donnait la préférence aux Algériens souhaitant émigrer en France et s’installer dans l’Hexagone. Toutefois, force est de constater que ces temps sont bel et bien révolus.

L’historien français, Benjamin Stora, spécialiste de la colonisation et conseiller quasi permanent de plusieurs présidents français sur la question de l’Algérie, a publié un ouvrage intitulé "Les mémoires dangereuses : de l’Algérie coloniale à la France d’aujourd’hui", qui n’était pas du goût des autorités algériennes, comme il ne comportait aucun appel à des excuses officielles de Paris, ni même à indemniser les familles ou les descendants des victimes des essais nucléaires dans le Sahara algérien.

Dans son ouvrage, Benjamin Stora a recommandé, entre autres, la création d’une commission mixte appelée "Mémoire et vérité", afin de documenter les témoignages des survivants de la guerre d’indépendance algérienne. De même, M. Stora a insisté sur la nécessité d’améliorer l’enseignement de la guerre d’indépendance algérienne dans les écoles en France et de ne plus faire référence au colonialisme dans les cours.

De son côté, l’Algérie cherche à diversifier ses relations économiques, notamment avec l’Allemagne, l’Italie, et même la Turquie en raison des relations précaires et instables qu’elle entretient avec Paris. Des relations toujours otages de ce passé douloureux pour les Algériens sur les plans de la mémoire, des guerres qui ont opposé les deux pays et la question de l’immigration. À noter que l’Algérie possède les plus grandes réserves de gaz naturel d’Afrique, soit environ 4 milliards de mètres cubes, auxquelles viennent s’ajouter des réserves de pétrole d’environ 1,5 milliard de tonnes. De plus, le pays aspire à construire le plus long gazoduc qui s’étendrait du Nigeria jusqu’à la mer Méditerranée.

Alors que Paris appréhende les démarches unilatérales d’ouverture de l’Algérie à l’égard de ses partenaires européens, la capitale française s’efforce de faire la part des choses entre le volet historique, lié à la mémoire, et le volet économique. C’est dans cette logique que s’inscrit la dernière visite d’Elizabeth Borne en Algérie, accompagnée d’une imposante délégation de 15 ministres de son gouvernement, dans une tentative d’acter la réconciliation entre les deux pays. Cette visite s’est conclue par la signature de douze protocoles d’accords dans les domaines de l’industrie, du travail et de l’archéologie.

Par ailleurs, dans le contexte de la guerre russe contre l’Ukraine, et de la décision fâcheuse de Moscou de couper l’approvisionnement de l’Europe en gaz, la dernière chose souhaitée par Paris aujourd’hui c’est de voir ses relations économiques avec un grand pays exportateur de pétrole et de gaz se détériorer sur fond de questions historiques, dont Paris craint les répercussions. Dès lors, il est probable que la France continue à "manœuvrer" en vue de sécuriser ses besoins en dérivés pétroliers, sans se laisser aller jusqu’à présenter des excuses officielles, qui auront des implications politiques, morales et financières que la France n’est pas en mesure d’assumer.

Même si "les excuses des braves" restent une option valable en société et entre les individus pour régler leurs différends, on ne peut pas en dire autant lorsqu’il s’agit de politiques et d’intérêts impliquant des États.