Antony Blinken s’est exprimé en tribun hier au Conseil de sécurité, maniant à souhait les informations de ses services de renseignement pour démasquer les manoeuvres russes qui, selon lui, vont dans le sens de l’escalade dans le conflit ukrainien. Plus tôt, le président Biden lui-même a prédit une invasion russe " dans les prochains jours ". Bien évidemment, ces déclarations ont été balayées d’un revers de la main par Moscou qui insiste qu’elle procède à un retrait de ses troupes suite à la fin de manoeuvres militaires. Le dialogue de sourds se poursuit donc entre les deux puissances. Mais le fait du jour est la dangereuse escalade à l’Est de l’Ukraine, où la région du Donbass a connu des échanges de tirs à l’arme lourde entre les séparatistes pro-russes et l’armée ukrainienne. Ces affrontements ont fait craindre aux Occidentaux un prétexte russe pour une invasion à grande échelle.

La confrontation a pris un tour très solennel à l’ONU: le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken est venu devant le Conseil de sécurité exhorter les Russes à " abandonner la voie de la guerre ". " Toutes les indications que nous avons, c’est que (les Russes) sont prêts à entrer en Ukraine, à attaquer l’Ukraine ", avait dit auparavant le président américain Joe Biden, jugeant l’offensive possible " dans les prochains jours ". La Russie a, selon les renseignements américains, déployé plus de 150000 soldats et leurs équipements dans le voisinage de l’Ukraine.Moscou a pour sa part annoncé mardi et mercredi le retrait de ses troupes, images de trains chargés d’équipements à l’appui, mais sans convaincre les Occidentaux.

Joe Biden a répété que la Russie prépare selon lui un prétexte, une " fausse alarme ", liée au conflit entre Kiev et des séparatistes pro-russes dans l’Est ukrainien, qui justifierait son intervention.

La région du Donbass, épicentre de ce conflit qui depuis huit ans oppose les forces ukrainiennes à des combattants pro-russes, a connu jeudi des échanges de tirs à l’arme lourde accrus. L’armée ukrainienne a en particulier dénoncé jeudi une attaque contre la localité Stanitsa Louganska, qui a privé la moitié de cette localité d’électricité et laissé un trou d’obus dans le mur d’une école. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a estimé que " le bombardement sans distinction d’infrastructures civiles était inacceptable ", tout en saluant " la retenue " dont fait preuve l’Ukraine selon lui. Les séparatistes de Lougansk ont eux accusé Kiev d’être responsable d’une multiplication des bombardements pour " pousser le conflit vers une escalade ". Le Kremlin a lui estimé que la " concentration extrême des forces ukrainiennes " était responsable de cette situation " extrêmement dangereuse ".

Le dialogue de sourds a été parfaitement illustré lors de la séance jeudi du Conseil de sécurité. " Je n’ai aucun doute sur le fait que la réponse à mes déclarations ici aujourd’hui sera faite de nouvelles dénégations du gouvernement russe ", a dit le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, tout en proposant une rencontre " la semaine prochaine " à son homologue russe Sergueï Lavrov. " Le gouvernement russe peut annoncer aujourd’hui " que " la Russie ne va pas envahir l’Ukraine, le dire clairement, le dire pleinement au monde entier, et ensuite le démontrer ", a-t-il martelé. " Dans les jours qui suivront, le monde se souviendra de cet engagement, ou du refus d’en faire autant. " Avant lui le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Verchinine, extrêmement posé, avait refusé de s’étendre sur ce qu’il a qualifié de " spéculations ". Il a plutôt énuméré les griefs de Moscou envers l’Ukraine, accusée de ne pas appliquer les accords de Minsk de 2015, censés pacifier l’est séparatiste. Une éventuelle reconnaissance de ces territoires séparatistes en Ukraine, telle que l’a demandée la chambre basse du parlement russe, représenterait selon la cheffe de la diplomatie britannique Liz Truss une volonté de " confrontation ".

La Russie a par ailleurs déroulé une nouvelle fois jeudi le catalogue de ses demandes stratégiques aux Occidentaux, qui les ont pour la plupart déjà rejetées. En cas de refus, " la Russie sera forcée de réagir, notamment par la mise en oeuvre de mesures à caractère militaire et technique ", a menacé la diplomatie russe. Le président bélarusse Alexandre Loukachenko, allié de la Russie, s’est dit prêt jeudi à accueillir des " armes nucléaires ", dont il ne dispose pas depuis la chute de l’URSS. Moscou réclame " le retrait de toutes les forces et armements des Etats-Unis déployés en Europe centrale et orientale, en Europe du Sud-Est et dans les pays baltes " et un " renoncement à tout élargissement futur de l’Otan ", à l’Ukraine en particulier.

La Chine s’est mêlée au débat jeudi en estimant, lors de la réunion du Conseil de sécurité, que " l’expansion constante de l’Otan, dans le sillage de la Guerre froide, (allait) à l’encontre de notre époque. " Evoquant implicitement les Etats-Unis, l’ambassadeur chinois à l’ONU, Zhang June a souligné que le monde comptait " un pays qui refuse de renoncer à sa mentalité de la Guerre froide, qui dit une chose et en fait une autre pour parvenir à une supériorité militaire ".

Illustration des tensions en cours, le département d’Etat américain a révélé jeudi que la Russie avait " expulsé " le numéro deux de son ambassade à Moscou, le diplomate Bart Gorman, disant étudier une " riposte ". La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a affirmé que cette mesure répondait à la récente expulsion " injustifiée " d’un diplomate russe en poste à Washington.

Avec AFP