La tension est montée d’un cran vendredi à l’Est de l’Ukraine entre les séparatistes pro-russes du Donbass et l’armée ukrainienne. Les deux parties s’accusent mutuellement d’être à l’origine de l’escalade militaire suite à l’intensification des bombardements à l’arme lourde. D’aucuns redoutent que cet affrontement armé ne serait un préalable à une invasion russe. Pour augmenter encore plus la tension, la Russie a déclaré vouloir procéder à des manoeuvres de ses " forces stratégiques ", dont des essais de missiles balistiques et de croisière. Ces engins sont normalement des vecteurs des armes nucléaires. Vladimir Poutine devrait lui-même superviser ces exercices.

 

A la mi-journée, le son de bombardements était audible à Stanitsa Louganska, une ville de l’Est de l’Ukraine sous le contrôle des forces gouvernementales, ont constaté des journalistes de l’AFP sur place. Déjà touchée la veille par des tirs qui ont endommagé une école maternelle et plusieurs maisons, la localité restait partiellement privée d’électricité vendredi. Dans cette situation très tendue, les regards étaient tournés de nouveau vers le président russe Vladimir Poutine dont les intentions concernant l’Ukraine restent troubles. Vendredi après-midi, il reçoit son allié bélarusse Alexandre Loukachenko chez qui de vastes exercices militaires conjoints sont en cours. La Russie a affirmé vendredi procéder à de nouveaux retraits de la frontière ukrainienne, des informations qui laissent Kiev et les Occidentaux sceptiques. " Cela n’a pas lieu ", a déclaré vendredi devant les députés le ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov, selon lequel la Russie a massé 149000 soldats à la frontière ukrainienne. Faisant état d’une situation " anormale ", il a accusé les séparatistes soutenus par Moscou d’avoir commis jeudi 60 violations de la trêve contre " deux à cinq par jours en moyenne " ces derniers mois.Les rebelles prorusses ont rapporté de leur côté 27 tirs de l’armée ukrainienne.

Jeudi, l’école maternelle de Stanitsa Louganska a été touchée par des obus séparatistes alors que 20 enfants et 18 adultes s’y trouvaient, perçant un trou dans le mur de l’école, un rappel des pires heures du conflit qui dure depuis 2014 et a fait plus de 14.000 morts. " Moi je n’ai qu’un souhait, que la guerre se termine ", a déclaré à l’AFP Natalia Slessareva, une employée, légèrement blessée après avoir été projetée vers la porte par la déflagration. Les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont rapporté une hausse significative des tirs, avec 189 violations du cessez-le-feu enregistrées dans la région de Donetsk jeudi, contre 24 le jour précédent.

Dans la région de Lougansk, autre bastion séparatiste, 402 violations ont été rapportées contre 129 mercredi. Les séparatistes ont de leur côté accusé l’armée ukrainienne d’avoir tiré depuis un char vers Gorlivka, dans la région de Donetsk, dans la matinée. Les deux camps s’accusent mutuellement d’être à l’origine de cette nouvelle flambée de violences. Des accords de paix signés en 2015 à Minsk avaient permis l’instauration d’un cessez-le-feu et une baisse considérable des affrontements, mais des violences sporadiques éclatent régulièrement sur la ligne de front.

Le ministre américain de la Défense et l’Otan ont mis en garde jeudi à Bruxelles contre une provocation dans l’Est ukrainien orchestrée par Moscou pour justifier une intervention militaire. La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock a dénoncé le " déploiement sans précédent de troupes à la frontière avec l’Ukraine " et estimé que la Russie avait des exigences datant de la Guerre froide " et voulait remettre en " cause les principes fondamentaux de l’ordre de paix européen ".

Entre temps, la Russie a déclaré vendredi vouloir procéder à des manoeuvres de ses " forces stratégiques " sous la supervision du président Poutine. " Le 19 février, sous la direction du commandant suprême des forces armées russes Vladimir Poutine, un exercice planifié des forces de dissuasion stratégique sera organisé ", a indiqué vendredi le ministère de la Défense dans un communiqué. Des " tirs de missiles balistiques et de missiles de croisière auront lieu " dans le cadre de ces exercices, qui impliqueront des forces du district militaire Sud, les forces aérospatiales, les forces stratégiques et les flottes du Nord et de la mer Noire, selon la même source. Ces manoeuvres visent, selon le ministère, à " tester l’état de préparation " des forces impliquées et la " fiabilité des armes stratégique nucléaires et non nucléaires ". Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a pour sa part assuré qu’il s’agit d’un " processus d’entraînement régulier " qui " a été précédé de toute une série de notifications faites à divers pays par divers canaux ". " Tout cela est clairement réglementé et personne n’a de questions ou d’inquiétudes car tout est notifié à l’avance ", a-t-il poursuivi, ajoutant que ces exercices sont " totalement transparents, totalement compréhensibles pour les spécialistes étrangers ". "Ils ne doivent pas susciter d’inquiétude pour qui que ce soit ", a-t-il encore dit. Selon M. Peskov, Vladimir Poutine y assistera depuis un centre de commandement spécial. Les forces " stratégiques " russes, dans leur définition large, sont conçues pour répondre à des menaces y compris en cas de guerre nucléaire. Elles sont équipées de missiles à portée intercontinentale, de bombardiers stratégiques à longue portée, de sous-marins, de navires de surface et d’une aviation navale porteuse de missiles conventionnels également de longue portée. Ces exercices interviennent en pleine escalade des tensions avec les Occidentaux, les Etats-Unis accusant Moscou d’avoir massé 150000 hommes aux frontières de l’Ukraine en vue d’une potentielle invasion de ce pays. Moscou dément tout projet en ce sens et a annoncé depuis mardi une série de retrait de ses troupes, images de trains chargés d’équipements à l’appui, mais sans convaincre les Occidentaux.

La Russie, qui dément tout projet d’invasion, mais réclame des garanties pour sa sécurité comme le retrait de l’Otan d’Europe de l’Est, est considérée comme le parrain militaire et financier des séparatistes de l’Est de l’Ukraine. L’augmentation des bombardements le long de la ligne de front ukrainienne rappelle la situation en Géorgie en 2008, lorsque les forces géorgiennes ont lancé un assaut sur la région séparatiste d’Ossétie du Sud après des jours d’échanges de tirs de mortier et d’artillerie. Accusant Tbilissi d’agression contre les Casques bleus russes et les résidents sud-ossètes de nationalité russe, Moscou a lancé une offensive dévastatrice. Le conflit de cinq jours a fait plusieurs centaines de morts et Moscou a fini par reconnaître l’Ossétie du Sud et une autre région géorgienne séparatiste, l’Abkhazie, en tant qu’États indépendants.
Avec AFP