L’annonce faite par l’Allemagne d’affecter une centaine de milliards de dollars à ses dépenses militaires augure des transformations structurelles inédites, politiques, économiques et même de développement, à l’échelle de l’Europe. Et ce n’est là que l’un des aspects de la guerre russe contre l’Ukraine, la guerre la plus belliqueuse sur le territoire européen depuis 1945 et qui risque de redessiner les règles des conflits internationaux.

Pour rappel, si l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, les Alliés ont écrit la leur au lendemain de la Seconde guerre mondiale. L’Allemagne et le Japon, grands perdants de cette guerre, se sont orientés vers le développement et la reconstruction de leur économie alors en ruines, réalisant un franc succès à différents niveaux, notamment technologiques. La qualité des industries lourdes allemandes et japonaises sont la parfaite illustration de ce succès.

Au cours des dernières décennies, les relations internationales ont été secouées par de nombreuses tensions. Cependant, des garde-fous et des équilibres délicats demeuraient, dont l’équilibre de la terreur créé par les pays du club nucléaire. Brandir la menace nucléaire constituait une dissuasion suffisante, sans devoir recourir à nouveau à cette arme comme cela s’était produit pour les villes de Nagasaki et d’Hiroshima en 1945. Deux attaques qu’on ne peut qualifier au bas mot que de honte pour l’humanité, pour l’Occident en particulier, menées à l’époque par les États-Unis qui avaient largué les deux bombes et causé des lourdes pertes humaines et matérielles. Leurs répercussions se sont prolongées des décennies durant.

À l’époque, réagissant à l’attaque japonaise contre sa base de Pearl Harbor, Washington avait décidé de rompre avec son isolationnisme politique sciemment adopté qui s’était traduit par un retrait complet de la politique internationale et de ses développements. N’était "Pearl Harbor" , les États-Unis auraient peut-être conservé cette distance qui les tenait à l’écart du cours de la Seconde guerre mondiale, alors que celle-ci  faisait rage sur le continent européen avant de s’étendre aux quatre coins de la planète.

Les États-Unis  devenaient ainsi un acteur direct sur la scène internationale, profitant d’une vieille Europe exsangue, comme l’étaient en particulier la France et la Grande-Bretagne. Les États-Unis n’ont pas tardé à devenir l’acteur international le plus puissant, seulement égalé par l’ex-Union soviétique,  avant que celle-ci ne s’effondre complètement en 1990.

Le nouvel ordre mondial au temps de la guerre froide était lui aussi ponctué par des tensions politiques itinérantes. Des guerres par procuration éclataient dans les pays en développement et les pays pauvres, devenus des théâtres de conflits en raison de leur alignement sur tel ou tel autre camp. Le Mouvement des non-alignés avait pour but de forcer cette division horizontale et de créer un espace pour les pays qui ne souhaitaient pas suivre tel ou tel camp.

À l’exception de la crise des missiles de Cuba au début des années soixante du siècle dernier, qui était devenue presque incontrôlable et a failli déclencher une troisième guerre mondiale, les développements politiques internationaux sont restés dans une certaine limite contenus. Les conflits ont pris diverses formes, comme la guerre de l’espace, la course à l’armement et les guerres par procuration. Malgré leur ampleur et les pertes qu’ils engendraient, ces conflits n’ont pas atteint le stade d’une collision directe entre les États-Unis et l’Union soviétique. D’ailleurs, la relation entre les deux pôles internationaux s’est transformée à des étapes différentes en coopération pour contrôler la prolifération des armes, et de nombreux accords ont été signés dans ce domaine.

Si ce rappel historique revient sur des faits longuement abordés dans les livres , c’est pour dire que la guerre qui fait rage en Ukraine menace d’effondrement ces postulats fragiles. Elle sera le prélude d’une nouvelle ère marquée par une retour à la configuration des guerres où les pays forts agressent les pays faibles sans la moindre gêne ou hésitation.

Les sanctions économiques imposées par l’Occident et les États-Unis à la Russie, aussi sévères soient-elles, n’empêcheront pas le président russe Vladimir Poutine de poursuivre son dessein, bien au contraire. Il persistera dans sa guerre sans relâche jusqu’à atteindre le minimum, voire le maximum de ses exigences en termes de désarmement de l’Ukraine et son annexion, lui retirant de ce fait toute souveraineté et tout pouvoir de décision.

Recourir aux sanctions n’a jamais réussi à empêcher les guerres. Il n’a pas profité aux peuples non plus. Au contraire, seuls les peuples ont payé le lourd tribut de ces politiques. En Russie, c’est la classe moyenne et l’économie russe qui se trouveront affectés et non le président russe. Il continuera, lui, à pratiquer ses loisirs sportifs et à se déplacer entre ses palais présidentiels. Force est de rappeler, sans vouloir excuser ni justifier quoi que ce soit, que les sanctions n’ont pas délogé le régime de Saddam Hussein en Irak, mais ont conduit plutôt à l’invasion directe des États-Unis de ce pays en 2003.

Peut-être faut-il à l’Occident une piqûre de rappel historique pour qu’il cesse de traiter la question ukrainienne hypocritement en prétendant fournir un  soutien à distance à ce pays .Est-il nécessaire de démontrer que les choix qu’il fait ne dissuadent pas Poutine et le touchent encore moins ? Et que ce sont les Russes et eux seuls qui en paient le prix.

Il ne fait aucun doute que la guerre de l’Ukraine constituera un tournant dans les relations internationales et que plus rien ne sera comme avant.