Les Occidentaux jugent " très crédible " une attaque ou un incident chimique ou nucléaire provoqué par les bombardements russes en Ukraine et ont multiplié jeudi les mises en garde à l’adresse du Kremlin.  Le président américain Joe Biden a promis pour la première fois une " réponse " de l’Otan dans le conflit en Ukraine si la Russie y recourait à l’arme chimique, un risque jugé bien réel lors de sommets de l’alliance et du G7 réunis à Bruxelles après un mois d’une guerre meurtrière et dévastatrice lancée par Vladimir Poutine. 
" L’Otan n’a jamais, jamais été plus unie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Poutine obtient exactement le contraire de ce qu’il voulait en envahissant l’Ukraine ", a-t-il assuré, mettant aussi en garde à nouveau la Chine contre tout soutien à Moscou qui pourrait mettre en jeu " son avenir économique ".
" Le risque d’une utilisation à grande échelle d’armes chimiques par la Russie sur le territoire de l’Ukraine est bien réel ", a averti jeudi le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans un message vidéo aux chefs d’Etat et de gouvernement du G7.  
Une attaque russe à l’arme chimique en Ukraine est " une menace crédible ", avait prévenu mercredi Joe Biden en quittant la Maison Blanche pour se rendre à Bruxelles.  Interrogé sur d’éventuelles " lignes rouges " définies par l’Otan et susceptible de déclencher une intervention, le président français Emmanuel Macron a préféré rester " très prudent sur ce sujet ".  Dans le cas de l’Ukraine, " je pense que l’ambiguïté stratégique et la discrétion sont plus efficaces ", a répondu le chef de l’Etat.
L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a fait part jeudi soir de son " inquiétude " après avoir été informée par les autorités ukrainiennes de bombardements de la ville où vit le personnel du site de Tchernobyl.L’Alliance atlantique va fournir à l’Ukraine des équipements de protection contre les menaces chimiques, biologiques et nucléaires et va protéger ses forces déployées sur le flanc oriental, a annoncé jeudi son secrétaire général, le Norvégien Jens Stoltenberg à l’issue du sommet de l’Otan. " Nous prenons donc des mesures à la fois pour soutenir l’Ukraine et pour nous défendre ", a-t-il assuré. "L’attaque de la Russie a déjà mis en danger la sûreté et la sécurité des sites nucléaires en Ukraine et les activités militaires russes créent des risques extrêmes pour la population et l’environnement, avec le potentiel d’un résultat catastrophique ", ont averti les dirigeants du G7 –Etats-Unis, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Canada et Japon– dans une déclaration commune.  Plusieurs dirigeants de l’UE ont souhaité que ces menaces soient discutées au cours de leur sommet jeudi et vendredi.Moscou n’utilisera l’arme nucléaire en Ukraine qu’en cas de " menace existentielle " contre la Russie, a assuré mardi le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov sur la chaîne CNN International.

" Nous pouvons nous attendre à tout de la part de la Russie, qui ne respecte aucune loi, et nous devons être préparés à ce genre de situation ", a rétorqué jeudi la première ministre finlandaise Sanna Marin.  " Je ne pense pas que la Russie va utiliser ces armes à dessein, mais les bombardements en Ukraine frappent des usines chimiques et cela peut provoquer une catastrophe ", a souligné son homologue slovène Janez Jansa.

Risque de pénuries alimentaires

Sur le front économique, les Occidentaux se sont concertés jeudi pour répondre aux risques de pénuries alimentaires mondiales à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, deux exportateurs majeurs de blé.

" Les pénuries alimentaires vont se concrétiser ", a mis en garde le président américain Joe Biden à Bruxelles après les sommets du G7 et de l’Otan, assurant que les Etats-Unis comme le Canada, gros producteurs de céréales, allaient augmenter leurs exportations en conséquence.

Le Canada, quatrième producteur mondial de pétrole, a aussi annoncé jeudi une augmentation d’environ 5% de ses exportations de pétrole pour répondre " aux demandes d’aide " de ses " alliés, aux prises avec des pénuries " en raison du conflit en Ukraine.

Résolution " historique " de l’Assemblée générale de l’ONU

Une seconde résolution " historique " mais qui reste non contraignante: l’Assemblée générale de l’ONU a adopté jeudi à une écrasante majorité de 140 voix un nouveau texte qui " exige " de la Russie l’arrêt " immédiat " de son " agression " contre l’Ukraine.  Lors d’un vote de cette Assemblée réunie depuis mercredi au siège des Nations unies à New York, 140 pays ont voté pour, 38 se sont abstenus et cinq ont voté contre, dont la Russie, la Syrie et la Corée du Nord.

Quelques applaudissements ont retenti dans l’amphithéâtre.  Mais sans commune mesure avec l’accueil d’une première résolution adoptée le 2 mars par cette même Assemblée regroupant les 193 Etats membres de l’Organisation.  Ce jour-là, lors d’un vote " historique ", 141 pays avaient approuvé un premier texte non contraignant qui " exige(ait) que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ". Cinq Etats – les mêmes que jeudi – avaient voté contre et 35 s’étaient abstenus, dont plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique latine.Jeudi, l’Assemblée générale a donc adopté cette seconde résolution intitulée " conséquences humanitaires de l’agression contre l’Ukraine ", présentée par Kiev et initialement préparée par la France et le Mexique.

Parallèlement à l’Assemblée, Moscou avait soumis mercredi au vote des 15 membres du Conseil de sécurité une résolution sur la " situation humanitaire " en Ukraine, pays qu’elle a attaqué et envahi le 24 février.  La Russie et la Chine avaient voté pour et les 13 autres pays s’étaient abstenus pour montrer, selon des diplomates, que le texte russe était " inacceptable ". Au contraire, l’ambassadeur de Moscou à l’ONU Vassily Nebenzia avait défendu " une résolution non politisée "!

100.000 militaires américains en Europe
Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a indiqué à ce stade que les alliés avaient " convenu de fournir des équipements pour aider l’Ukraine à se protéger contre les menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires ".Les dirigeants de l’Otan ont également approuvé la création de quatre nouveaux groupements tactiques en Roumanie, en Hongrie, en Bulgarie et en Slovaquie, et le renforcement des quatre déjà constitués en Pologne et dans les trois pays Baltes.  Plus de 100.000 militaires américains sont actuellement présents en Europe et plus de 40.000 soldats sont sous commandement direct de l’Otan dans la partie orientale de l’Alliance. " C’est du jamais vu ", a souligné M. Stoltenberg.Dans un premier message vidéo jeudi aux dirigeants de l’Otan, le président ukrainien les avait exhortés à fournir à l’Ukraine " une aide militaire sans restriction ".  Les Etats-Unis " ont entamé des consultations (avec leurs alliés) pour fournir des missiles anti-navire à l’Ukraine ", a indiqué une haute responsable américaine, soulignant toutefois que ce scénario présentait des " défis techniques ".  La Suède et l’Allemagne ont annoncé pour leur part la livraison à l’Ukraine de respectivement 5.000 et 2.000 nouvelles armes antichar. Les forces ukrainiennes ont déjà reçu 1.000 armes antichar et 500 lance-missiles sol-air de type Stinger pris dans les réserves de la Bundeswehr, l’armée allemande.

Sanctions sur l’or russe

Sur le front économique, les pays du G7 et de l’Union européenne vont sanctionner toute transaction impliquant les réserves d’or de la Russie, pour éviter que Moscou ne contourne ainsi les mesures d’isolement financières prises par les Occidentaux, a annoncé la Maison Blanche.  " Nous voulons fermer toute possibilité pour la Russie d’utiliser son or pour soutenir sa devise ", le rouble, a expliqué un haut responsable américain.  Washington a aussi annoncé jeudi de nouvelles sanctions financières contre la Russie, visant le monde politique, des oligarques et l’industrie de défense.

Les pays du G7 ont aussi assuré jeudi qu’ils " ne ménageraient pas leur efforts " pour que Vladimir Poutine " rende des comptes " pour l’invasion de l’Ukraine, surtout s’il s’avère que les Russes ont commis des crimes de guerre.

 

Des munitions au phosphore

Sur le terrain, au moins cinq personnes sont mortes, dont deux enfants et huit autres ont été blessées dans des frappes russes dans la région de Lougansk, dans l’Est, a indiqué le gouverneur de la région, Serguiï Gaïdaï.  Le gouverneur a ajouté que le bilan risquait de " s’avérer bien supérieur ". " L’aviation russe a commencé à larguer des bombes au phosphore sur Roubijné ", a-t-il accusé.  Dans son message à l’Otan, le président ukrainien a relayé ces accusations: " Ce matin (…) il y a eu des bombes russes au phosphore. Des adultes ont été tués et des enfants ont été tués à nouveau ".

" L’enfer " de Marioupol

Sur le terrain, le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov affirmait que sa milice paramilitaire, qui combat aux côtés de l’armée russe, avait pris la mairie de la ville assiégée et bombardée de Marioupol dans le sud-est de l’Ukraine, avant de publier une vidéo où il n’est question que d’un bâtiment officiel de la périphérie de cette grande ville.  " Inch’Allah, Marioupol sera bientôt complètement nettoyé ", a lancé le Tchétchéne.  Mais dans une vidéo publiée quelques heures plus tard, il assure que les forces de Moscou " ont complètement nettoyé les quartiers résidentiels de la partie orientale de la ville ".  Les images montrent un groupe de soldats hissant un drapeau à l’effigie du dirigeant tchétchène sur un bâtiment endommagé.  " Les soldats ont hissé un drapeau au-dessus du bâtiment du bureau du procureur du district de Levoberejny, le dernier libéré ", a-t-il écrit.

Cette ville portuaire sur la mer d’Azov, lourdement bombardée et où des témoins ont décrit des cadavres jonchant les rues, serait le cas échéant la première agglomération significative à être prise par la Russie, après une offensive d’un mois qui a vu l’armée russe à la peine face à la résistance acharnée des Ukrainiens, armés par l’Otan.

https://youtu.be/4JGFzEYTt3A

 

La municipalité de Marioupol a lancé un appel à l’aide sur Telegram, demandant de sauver la population " de l’enfer ".  " De plus en plus de morts de faim. De plus en plus de gens sans nourriture. Et toutes les tentatives de lancer une grande opération humanitaire pour sauver la population de Marioupol sont bloquées par la partie russe. Parce que les occupants ne s’intéressent pas aux gens et à ce qu’ils deviennent. Seulement pour une image de propagande avec la déportation forcée vers la Russie ", a écrit la mairie de la ville assiégée.

Les Ukrainiens accusent en effet les Russes de " déporter " des habitants de Marioupol vers la Russie. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, a évoqué 6.000 habitants emmenés vers des " camps de filtration russes ".  Ces accusations étaient invérifiables dans l’immédiat, mais le ministère russe de la Défense a de son côté affirmé que " 8.500 habitants de Marioupol ont pu être évacués sans aucune participation de la partie ukrainienne le 23 mars ", selon l’agence Interfax.

Au moins six civils ont été tués et 15 autres blessés jeudi dans un bombardement russe à Kharkiv, deuxième ville du pays (nord-est) selon le gouverneur régional Oleg Syniegoubov.  Le bombardement, effectué avec des " armes de longue portée ", a touché un bureau de poste près duquel des habitants locaux recevaient de l’aide humanitaire, a-t-il précisé sur Telegram, dénonçant un nouveau " crime des occupants russes ".

Selon Washington, l’offensive de l’armée russe piétine cependant, notamment dans les environs de Kiev.  " Les Ukrainiens ont réussi à repousser les Russes à 55 km à l’est et au nord-est de Kiev ", déclarait mercredi un haut responsable du Pentagone ayant requis l’anonymat.  Des dizaines de personnes ont fui jeudi les combats autour de Kiev dans une zone que l’Ukraine affirme avoir reprise à la Russie, ont constaté des journalistes de l’AFP.  D’intenses échanges d’artillerie lourde pouvaient être entendus depuis la banlieue d’Irpin, au nord-ouest de la capitale, et l’on pouvait voir des colonnes de fumée s’élever dans le ciel, selon ces journalistes.  Le maire de Kiev, Vitali Klitschko, avait affirmé mercredi que " la presque totalité d’Irpin était déjà sous contrôle des soldats ukrainiens ".La marine ukrainienne a aussi affirmé jeudi avoir détruit un navire russe de transport de troupes russes ancré dans le port de Berdiansk, ville proche de Marioupol sur la mer d’Azov.  Russes et Ukrainiens ont par ailleurs procédé jeudi à des échanges de prisonniers, selon la vice-Première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk sur Facebook.Avec AFP