Le Sri-Lanka est au bord du gouffre, après la pandémie de COVID-19 qui a réduit à néant les revenus du tourisme et des transferts de la diaspora, et plusieurs années de sécheresse. Aujourd’hui, la crise mondiale et l’augmentation des coûts des céréales et matières premières menace le pays, qui pâtit d’une mauvaise gestion financière et économique depuis la fin de la guerre civile en 2009, la classe dirigeante ayant dilapidé les fonds publics en corruption, subventions aux produits de base et baisses d’impôts pour des visées clientélistes. 

La colère monte au Sri Lanka, l’ancien Ceylan frappé par la pire crise économique depuis l’indépendance en 1948 et qui connaît d’interminables files d’attente aux stations-essence et des coupures de courant record, jusqu’à dix heures par jour depuis mercredi.

Manquant cruellement de devises étrangères, l’île dont les hôpitaux sont à genoux, ne parvient plus à importer des produits vitaux, entraînant de graves pénuries, allant des médicaments vitaux au ciment.

Dans les longues files d’attente qui se forment avant l’aube devant les stations-service, tous s’inquiètent de la façon dont ils pourront nourrir leur famille avec la montée en flèche des prix des denrées alimentaires.

" Je suis là depuis cinq heures ", explique Sagayarani, une femme au foyer de Colombo qui attend sa part du kérosène destiné à alimenter les fourneaux des ménages les plus pauvres de la capitale.

Elle dit avoir vu déjà trois personnes perdre connaissance et qu’elle-même devrait être à l’hôpital pour subir un traitement médical, mais qu’avec son mari et son fils au travail, elle n’a pas d’autre choix que d’attendre sous le soleil brûlant du matin.

" Je n’ai rien mangé, j’ai des vertiges et il fait très chaud, mais que pouvons-nous faire ? C’est beaucoup de souffrance ", dit-elle, refusant de donner son nom de famille.

Au port, les camions ne peuvent pas acheminer la nourriture et les matériaux de construction vers d’autres centres urbains, ni rapporter le thé en provenance des plantations situées dans la région des hauts plateaux, au centre du pays.

Un cumul de crises depuis la guerre civile 

Les bus transportant les travailleurs journaliers dans la capitale sont à l’arrêt et un nombre croissant d’hôpitaux ont suspendu les opérations non urgentes, notamment le plus grand du pays. Faute de papier, les examens scolaires ont été reportés ce mois-ci pour des millions d’élèves.

Sorti en 2009 de plusieurs décennies de guerre civile, le pays accumule les épreuves.

L’agriculture a subi une désastreuse sécheresse en 2016, le tourisme a été anéanti par les attentats islamistes du dimanche de Pâques de 2019, faisant au moins 279 morts, puis la pandémie de Covid-19 a tari les transferts d’argent venus des Sri-Lankais vivant à l’étranger.

Après une contraction record de 3,6% en 2020, le PIB était reparti en croissance en 2021 à +3,7%.

Tourisme et diaspora sont deux sources vitales de devises étrangères nécessaires pour importer et assurer le service de la dette extérieure du pays, qui s’élève à 51 milliards de dollars (46 milliards d’euros).

Mais selon Murtaza Jafferjee, président du groupe de réflexion Advocata Institute basé à Colombo, la " mauvaise gestion " du gouvernement est un facteur bien plus important.

M. Jafferjee pointe du doigt un déficit public chronique, des réductions d’impôts malavisées juste avant la pandémie qui ont privé l’État de recettes, et des subventions sur l’électricité et d’autres services publics qui ont profité de manière disproportionnée aux Sri Lankais les plus riches.

De mauvaises décisions politiques ont aggravé les problèmes. L’an dernier, les autorités ont déclaré que le Sri Lanka deviendrait la première nation au monde à pratiquer une agriculture entièrement biologique et ont interdit du jour au lendemain les engrais importés, afin de ralentir les sorties de devises étrangères.

Le mécontentement grandit chez les Sri-Lankais 

Les agriculteurs ont réagi en laissant leurs champs vides, provoquant l’inflation des produits alimentaires, jusqu’à l’abandon de cette politique quelques mois plus tard.

Le Sri Lanka a demandé l’aide FMI, mais les négociations pourraient durer jusqu’à la fin de l’année.

" Je m’attends à ce que ce soit bien pire ", prédit M. Jafferjee. " Malheureusement, ils sont incapables de la contenir, car les personnes qui ont créé la crise sont toujours en charge de la gestion économique ".

La nuit, alors que la lumière orangée des lampadaires inonde les quartiers les plus riches de Colombo, de vastes pans de la ville sont plongés dans une quasi-obscurité.

À cause de coupures d’électricité de plusieurs heures chaque jour, les restaurants et les magasins tentent de fonctionner à la lumière des bougies. D’autres commerçants préfèrent baisser leur rideau métallique quand vient la nuit.

La colère vise l’administration de Gotabaya Rajapaksa, membre d’une famille dirigeante autrefois appréciée par une grande partie de la majorité cinghalaise du pays pour avoir mis brutalement fin à la guerre civile ethnique contre les Tigres tamouls.

Depuis, le soutien au clan Rajapaksa s’est effondré. Ce mois-ci, une foule en colère a tenté de prendre d’assaut le bureau du président.

" Nous avons été entraînés au bord du gouffre ", dénonce Mohammed Afker, un étudiant qui a manifesté avec des milliers de personnes à l’appel d’une coalition d’opposition de gauche.

Ce jeune homme de 20 ans explique à l’AFP comment les difficultés du quotidien ne lui laissent même pas le temps de penser à ses faibles chances de trouver un emploi à la fin de ses études.

" Nous ne pouvons même pas nous procurer des produits essentiels. Nous ne pouvons même pas nous faire du thé à la maison ", se désole-t-il. " Notre avenir est devenu un point d’interrogation. Nous manifestons ici parce que les choses doivent changer ".

Avec AFP