Le procureur de la Cour pénale internationale, le Britannique Karim Khan, a déclaré mercredi lors de sa visite dans les environs de Kiev que l’Ukraine est devenue une véritable " scène de crime ".   Khan s’est rendu à Boutcha, où des cadavres jonchaient les rues après le retrait de l’armée russe.

" Nous sommes ici parce que nous avons de bonnes raisons de penser que des crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis. Nous devons transpercer le brouillard de la guerre pour parvenir à la vérité ", a-t-il lâché devant la presse dans cette localité devenue le symbole des atrocités du conflit. Et ce depuis que des centaines de corps, selon les autorités ukrainiennes, y ont été découverts fin mars, la Russie niant pour sa part toute exaction en Ukraine.

Autour de la capitale comme ailleurs, les autorités ukrainiennes disent chaque jour trouver des cadavres dans les zones dont les Russes se sont retirés.

Dans un village du sud voisin de Kherson, une ville proche de la ligne de front, sept personnes ont été fusillées par des militaires russes dans une maison qu’ils ont ensuite fait exploser pour dissimuler le crime, a dénoncé mercredi le parquet général ukrainien.

A Dnipro, dans l’est, le maire-adjoint, Mikhaïl Lyssenko, a dit que les corps de plus de 1.500 soldats russes que " personne ne veut récupérer " reposaient dans des morgues de cette grande cité industrielle.

 

 

Controverses autour du terme génocide

La diplomatie américaine a justifié mercredi l’accusation de " génocide " portée la veille par Joe Biden contre la Russie, estimant que les forces russes voulaient " détruire l’Ukraine et sa population civile ".

Le président des Etats-Unis a créé la surprise mardi en affirmant que le président russe Vladimir Poutine commet un " génocide " en Ukraine, tout en reconnaissant qu’il reviendra aux juristes internationaux de trancher.

" Je pense qu’une fois que nous aurons pu réunir toutes les preuves, nous allons finir par arriver à la même conclusion que le président Biden, car ce qui se passe sur le terrain n’est pas un accident ", a déclaré sur la chaîne CNN la numéro trois de la diplomatie américaine, Victoria Nuland.   " C’est une décision intentionnelle prise par la Russie et par ses forces de détruire l’Ukraine et sa population civile ", a-t-elle ajouté.

Les diplomates américains s’efforcent toutefois de minimiser la portée concrète de l’accusation présidentielle, estimant qu’il s’agissait avant tout d’une position " morale ".

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a repris le lendemain l’accusation de génocide contre la Russie, contrairement au chancelier allemand Olaf Scholz et au président français Emmanuel Macron, dont le refus a été qualifié de " très blessant " par M. Zelensky.

Les présidents polonais et baltes en Ukraine

 

 

Le président polonais Andrzej Duda, en visite à Kiev, n’a pas utilisé le terme de " génocide " mais a estimé que la Russie était coupable de " terrorisme " et de " cruauté ".

" Ce n’est pas une guerre, c’est du terrorisme. Si quelqu’un envoie des avions et des soldats pour bombarder des zones résidentielles et tuer des civils, ce n’est pas la guerre. C’est de la cruauté, du banditisme, du terrorisme ", a-t-il déclaré.

Les présidents polonais et baltes se sont en effet rendus mercredi à Borodianka, une petite ville ukrainienne près de Kiev que le président lituanien Gitanas Nauseda a dépeinte comme " imprégnée de douleur et de souffrance " après des " crimes de guerre brutaux ".

Nauseda et ses homologues polonais Andrzej Duda, estonien Alar Karis et letton Egils Levits ont pris le train ensemble pour l’Ukraine, avec l’objectif de soutenir le président Volodymyr Zelensky " à un moment décisif pour ce pays ", avait déclaré mercredi matin la présidence polonaise.

Nouvelle aide militaire américaine massive

Joe Biden a donné son feu vert mercredi à une nouvelle aide militaire massive à l’Ukraine, avec des équipements plus lourds que ceux livrés jusqu’ici.  Ces nouvelles livraisons américaines comprendront certains des équipements " très efficaces que nous avons déjà livrés " à l’Ukraine, mais également " de nouvelles capacités ", dont notamment " des systèmes d’artillerie " et des " véhicules de transport de troupes blindés ", a précisé l’exécutif américain.

Le porte-parole du Pentagone John Kirby a publié une liste des équipements qui comprend 18 canons M777 Howitzer, des pièces d’artillerie de dernière génération utilisées encore récemment par l’armée américaine en Afghanistan, accompagnés de 40.000 obus de 155 mm, de 10 radars anti-artillerie mobiles AN/TPQ36 et de deux radars anti-aériens AN/MPQ64 " Sentinel ".

Par ailleurs, cette nouvelle tranche comprend 300 drones " kamikazes " Switchblade, ainsi que 500 missiles Javelin et " des milliers d’autres systèmes antichars ", auxquels s’ajoutent 200 véhicules blindés de transport de troupes M113 et 100 blindés légers Humvee, a indiqué M. Kirby.

 

 

 

 

Joe Biden a aussi donné son feu vert au transfert d’hélicoptères supplémentaires. Il s’agit de 11 hélicoptères Mi-17 de fabrication soviétique qui étaient destinés à l’armée afghane, avant qu’elle ne capitule devant les talibans.

C’est la première fois que l’administration Biden fournit de l’artillerie à l’Ukraine, a noté M. Kirby, expliquant que la bataille du Donbass sera différente de celle de Kiev car les forces russes sont moins dispersées qu’au début de l’invasion et que le terrain dans l’est du pays est différent.

La nouvelle tranche d’aide militaire de Washington comprend également des navires de défense côtière sans équipage, dont le nombre n’est pas précisé.

Ces " drones " flottants, dont l’US Navy commence juste à s’équiper, sont notamment conçus pour le dragage anti-mine, mais ils peuvent aussi être équipés de capteurs pour la surveillance maritime et sous-marine.

 

 

De nouvelles menaces de frappes russes à Kiev

La Russie a menacé mercredi de frapper des centres de commandement à Kiev, accusant l’Ukraine d’attaques contre son territoire.

Dans le même temps, l’ONU a estimé qu’un " cessez-le-feu général " à des fins humanitaires ne semblait " impossible actuellement ", les Nations unies attendant toujours des réponses de Moscou à des propositions concrètes en vue de l’évacuation de civils. "Nous voyons des tentatives de sabotage et de frappes des forces ukrainiennes sur des cibles sur le territoire de la Fédération de Russie, a déclaré Igor Konachenkov, le porte-parole du ministère russe de la Défense. "Si de tels événements se poursuivent, des frappes seront menées par l’armée russe sur des centres de prise de décision, y compris à Kiev, ce que l’armée russe s’est retenue de faire jusqu’à présent ", a-t-il mis en garde.

 

 

 

Le verrou de Marioupol

A Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine, " les restes des unités ukrainiennes et des nazis (du régiment) Azov présents dans la ville sont bloqués et privés de la possibilité de sortir de l’encerclement ", a, par ailleurs, assuré M. Konachenkov.

Peu auparavant, la Russie avait annoncé la reddition de plus de mille soldats ukrainiens dans cette cité portuaire stratégique que ses forces assiègent et bombardent depuis plus de 40 jours.

La prise de Marioupol serait une victoire importante pour les Russes, car elle leur permettrait de consolider leurs gains territoriaux côtiers le long de la mer d’Azov en reliant la région du Donbass, en partie contrôlée par leurs partisans, à la Crimée que Moscou a annexée en 2014.

Si certains experts jugent sa chute inévitable, des militaires ukrainiens continuent de résister, les combats se concentrant désormais dans la gigantesque zone industrielle de cette ville dont entre 20.000 et 22.000 des habitants ont au total péri, d’après l’administration régionale.

Les bombardements aériens russes sur Marioupol se poursuivaient, visant en particulier le port et le vaste complexe métallurgique Azovstal, a fait savoir mercredi l’armée de terre ukrainienne.

Ce labyrinthe, transformé en bastion par les soldats ukrainiens qui se sont retranchés dans ses kilomètres de souterrains, promet une bataille acharnée.

" Des unités de la 36ᵉ brigade de la Marine nationale à Marioupol sont parvenues, à l’issue d’une manœuvre complexe et très risquée, à rejoindre le régiment Azov ",  a de son côté affirmé mercredi sur Facebook Oleksiï Arestovitch, un conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky.

" Le système de défense de la ville s’est ainsi renforcé et élargi ", a-t-il ajouté.

Armes chimiques?

Sur place, des journalistes de l’AFP embarqués avec les forces russes ont vu les ruines calcinées de cette ville que les Ukrainiens disent " détruite à 90 % ".

Depuis le début de la semaine circulent des rumeurs, jusqu’ici non confirmées, d’emploi d’armes chimiques par les Russes à Marioupol.

Selon le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, " les forces russes pourraient (y) utiliser (…) notamment du gaz lacrymogène mélangé avec des agents chimiques " contre les " combattants et les civils ukrainiens ". Moscou assure pour sa part que " la menace de terrorisme chimique " vient des Ukrainiens.

La ville assiégée de Kharkiv

Les bombardements continuent également dans la partie orientale de l’Ukraine, où ils ont provoqué la mort de sept personnes ces dernières 24 heures à Kharkiv, une ville du nord-est aussi assiégée par les Russes depuis le début de l’invasion.

Kiev a appelé la population de ces régions à fuir au plus vite de peur d’une grande offensive russe imminente pour le contrôle total du Donbass, que les troupes ukrainiennes et leurs ennemis séparatistes prorusses se partagent depuis 2014.

L’Ukraine a toutefois averti qu’elle n’ouvrirait aucun couloir humanitaire mercredi, car les Russes " ont bloqué des cars " et " violent le cessez-le-feu " dans certaines zones, ce qui rend la situation " dangereuse ".

 

 

Dans l’attente de l’offensive à l’Est

Kiev a affirmé mercredi avoir touché, par des tirs de missiles, le croiseur russe Moskva en mer Noire.  " Il brûle avec intensité. Maintenant. Et avec cette mer agitée, il est impossible de savoir quand ils seront capables de recevoir de l’aide ", a affirmé sur Youtube un conseiller du président ukrainien, Oleksiï Arestovitch, assurant que " 510 membres d’équipage " étaient à bord.

Ces affirmations étaient invérifiables dans l’immédiat par l’AFP de source indépendante. Aucun incendie sur un navire militaire n’a été rapporté pour l’instant par les agences de presse russes.

Des analystes considèrent que le président russe Vladimir Poutine, embourbé face à la résistance acharnée des Ukrainiens, veut obtenir une victoire dans le Donbass avant le défilé militaire du 9 mai marquant sur la Place Rouge la victoire soviétique sur les nazis en 1945.

A cet égard, le chef d’une des deux " républiques " séparatistes prorusses unilatéralement proclamées dans ce vaste territoire minier, Léonid Passetchnik, a affirmé mercredi que ses troupes contrôlaient désormais " 80 à 90% " de la région de Lougansk, l’une des cibles prioritaires du Kremlin.

A Severodonetsk, la ville la plus à l’est encore tenue par l’armée ukrainienne, où des frappes se sont entendu, " il n’y a plus de médecins, pas d’infirmières et toutes les pharmacies sont fermées ", a raconté à l’AFP un homme de 70 ans.  Moscou avait dit fin mars dorénavant concentrer ses efforts sur le sud et l’est.

 

 

Avec AFP