"Tout est perdu, fors l’honneur", cette phrase est attribuée à François Ier (1515-1547), qui avait l’habitude d’envoyer régulièrement des lettres à sa mère, Louise de Savoie. La missive du 24 février 1525 fut particulièrement amère. Le roi vient d’être défait par les troupes de Charles Quint après la bataille de Pavie. Il sera arrêté, emprisonné, libéré un an plus tard après la signature du traité de Madrid. Une capitulation très déshonorante pour la France. Dans sa lettre, le souverain annonce avoir bataillé vaillamment, mais finalement " tout perdu ", sauf son honneur.

 

Azovstal: reddition ou échange?

" Ces héros ukrainiens " qui ont " rempli leur mission " seront échangés contre des prisonniers russes pour leur permettre de rentrer au pays " le plus rapidement possible ".  Le ministère ukrainien de la Défense a ainsi indirectement confirmé mardi que ses hommes sont bien aux mains des Russes et que, de ce fait, la dernière poche de résistance a fini par capituler. Le siège de près de deux mois et demi vient de prendre fin. La prise de Marioupol sera certainement un moment historique de l’invasion de l’Ukraine par les Russes.

De son côté, Moscou a annoncé mardi la reddition de 265 soldats ukrainiens retranchés dans l’aciérie Azovstal, l’ultime poche de résistance à Marioupol face à l’armée russe. Ces dernières 24 heures à Marioupol, " 265 combattants ont rendu les armes et se sont constitués prisonniers, dont 51 grièvement blessés ", a affirmé dans la matinée le ministère russe de la Défense.

 

 

La prise totale de Marioupol, une cité portuaire stratégique sur la mer d’Azov assiégée dès début mars par les Russes et chèrement défendue par les Ukrainiens au prix de vastes destructions, constituerait une avancée importante pour Moscou dans ce conflit.

Elle lui permettrait de contrôler une bande de territoire allant de la péninsule de Crimée, que les Russes ont annexée en 2014, aux territoires du Donbass (est) déjà aux mains de séparatistes prorusses.

L’Ukraine avait assuré la semaine dernière que plus de 1.000 soldats ukrainiens – dont 600 blessés – se trouvaient dans ce complexe industriel, véritable " ville dans la ville " avec ses kilomètres de galeries souterraines.

On ignorait le nombre de ceux qui demeuraient dorénavant sur ce site, mais ordre a été donné à leurs commandants de " sauver (leur) vie ", a expliqué l’état-major de l’armée ukrainienne.

Ces combattants pourraient n’avoir d’autre choix que la reddition, car si " l’Etat ukrainien fait tout le nécessaire " pour les sauver, il ne " peut pas aujourd’hui débloquer Azovstal par la voie militaire ", a admis le ministère ukrainien de la Défense.

La CPI envoie une grande équipe d’enquêteurs

A la Haye, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a annoncé le déploiement en Ukraine d’une équipe de 42 enquêteurs et experts, soit la plus importante mission en termes d’effectifs jamais envoyée sur le terrain, afin de faire la lumière sur les crimes commis pendant l’invasion russe.

M. Khan avait ouvert le 3 mars une enquête sur des allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Ukraine, après avoir reçu le feu vert de près de 40 Etats parties.

L’équipe est chargée de " faire avancer nos enquêtes sur les crimes relevant de la compétence de la Cour et apporter un soutien aux autorités ukrainiennes ", a ajouté M. Khan.

Le procureur de la CPI, créée en 2002 pour juger les pires crimes commis dans le monde, a ouvert le 3 mars une enquête sur des allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Ukraine.

M. Khan s’est notamment rendu dans la banlieue de Kiev, à Boutcha, où au moins 20 corps ont été découverts le 2 avril. L’Ukraine " est une scène de crime ", avait-il dit.

Kiev a imputé des centaines de meurtres de civils aux forces russes, mais Moscou a nié toute responsabilité dans les morts et a qualifié les événements de Boutcha de faux.

" Grâce au déploiement d’une équipe d’enquêteurs, nous serons mieux à même d’exploiter les pistes et de recueillir les témoignages se rapportant à des attaques militaires ", a déclaré Karim Khan mardi.

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Un " observatoire du conflit " US

Les Etats-Unis ont annoncé mardi la création d’un " observatoire du conflit ", doté initialement de six millions de dollars, pour " recueillir, analyser et partager largement les preuves des crimes de guerre " qu’ils imputent à la Russie en Ukraine.

Cette nouvelle initiative vise notamment à " préserver des informations " publiques ou des données de satellites commerciaux en respectant les " normes internationales ", afin qu’elles puissent alimenter toute procédure visant à faire rendre des comptes aux responsables d' "atrocités ", a déclaré le département d’Etat dans un communiqué.

" Une plateforme en ligne partagera avec le public la documentation de l’Observatoire du conflit, afin d’aider à réfuter les efforts de désinformation de la Russie ", a-t-il ajouté.

Les Etats-Unis ont formellement accusé la Russie de crimes de guerre en Ukraine, notamment contre les civils, et se sont engagés à oeuvrer afin que leurs auteurs mais aussi les commanditaires rendent des comptes.

Le président américain Joe Biden a personnellement qualifié son homologue russe Vladimir Poutine de " criminel de guerre " et de " boucher ", et est allé plus loin que son propre gouvernement en estimant que Moscou perpétrait un " génocide " en Ukraine.

 

" Phase prolongée "

Le ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov a affirmé mardi que la guerre avec Moscou entrait dans une " phase prolongée ", les Russes cherchant le contrôle total de la région du Donbass et à occuper le Sud.

" La Russie se prépare à mener une opération militaire à long terme ", a-t-il déclaré devant les ministres de la Défense de l’Union européenne (UE) et le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg. " La guerre entre dans une phase prolongée ", a-t-il ajouté dans ce discours dont le texte a été publié sur son compte Facebook.

Selon M. Reznikov, les troupes russes fortifient actuellement leurs positions dans les territoires qu’elles occupent dans les régions de Zaporijjia et de Kherson, afin de " passer en mode défensif si nécessaire ".

" À l’heure actuelle, les principaux efforts du Kremlin se concentrent sur les tentatives d’encercler et de détruire le regroupement des forces armées ukrainiennes dans les régions de Donetsk et de Lougansk ", dans l’Est du pays, partiellement aux mains de séparatistes prorusses, a-t-il poursuivi.

Le ministère ukrainien de la Défense a de son côté indiqué dans son rapport du soir mardi que les forces russes menaient des " offensives le long de la totalité de la ligne de contact " dans la région de Donetsk, et partiellement dans celle voisine de Lougansk.

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Durant la journée de mardi, sept civils ont été tués " par les Russes " et six autres blessés dans la région de Donetsk, a affirmé sur Telegram son gouverneur, Pavlo Kyrylenko.

Dans la région de Lougansk, les forces russes tentent une percée près de Popasna et en direction de Severodonetsk, l’une des grandes villes de la région sous contrôle ukrainien, a pour sa part indiqué son gouverneur Serguiï Gaïdaï en faisant état de " l’intensification des bombardements sur la population civile ", en particulier à Guirské.  L’offensive russe se concentre notamment, l’encerclant quasiment, sur Severodonetsk, depuis que des combattants séparatistes soutenus par Moscou se sont emparés d’une partie du Donbass en 2014.

Les unités ukrainiennes y résistent, selon Kiev, obligeant même les Russes déployés à proximité de Sirotyne à " se replier ".

Devant ses homologues de l’UE, le ministre de la Défense Oleksiï Reznikov a également cité comme objectif de Moscou la " création d’un couloir terrestre reliant la Russie à la Crimée ", péninsule qu’elle a annexée en 2014, et l’occupation de " la totalité du Sud de l’Ukraine ".

 

Attaques au nord de Kiev et à Lviv

Sur le terrain des opérations militaires, huit personnes sont mortes et 12 ont été blessées dans un bombardement russe sur Desna, un village situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Kiev connu pour abriter un grand camp d’entraînement militaire, d’après les secours locaux.

Une autre attaque russe a touché mardi matin une base militaire ukrainienne dans la région de Lviv située à seulement 15 kilomètres de la frontière avec la Pologne, selon Maxim Kozitsky, le gouverneur de la région de Lviv.

 

Otan: la Suède et la Finlande bouclent leurs candidatures

Autre front pour Moscou : l’élargissement probable de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord à la Finlande et la Suède, après des décennies de non-alignement militaire. Les deux pays déposeront mercredi conjointement leurs candidatures à l’Otan, malgré l’ombre persistante d’un blocage par la Turquie.

Avec le feu vert à une majorité écrasante de plus de 95% du Parlement finlandais, tout est désormais en place pour l’arrivée simultanée des demandes d’adhésion des deux pays au siège de l’alliance à Bruxelles.

Le duo nordique se rendra jeudi à Washington pour rencontrer le président américain Joe Biden, a annoncé la Maison Blanche.

 

Alors que Vladimir Poutine a semblé mettre la sourdine lundi sur les menaces russes de représailles à une adhésion suédo-finlandaise, le principal obstacle semble désormais venir de l’intérieur de l’alliance.

La Turquie, dont la ratification est impérative comme celle de chacun des 30 membres de l’Otan, a réaffirmé lundi son hostilité à l’entrée de la Suède et de la Finlande, malgré des discussions diplomatiques durant le week-end.

Les analystes estiment que la Turquie cherche certainement des contreparties en échange de son feu vert, par exemple la levée du refus des Etats-Unis de leur vendre des F-35, le puissant avion de combat américain.

Ankara reproche notamment à la Suède et à la Finlande de ne pas approuver ses demandes d’extradition des personnes qu’elle accuse d’être membres d' "organisations terroristes " comme le PKK kurde, ou d’avoir gelé des exportations d’armes vers la Turquie.

Malgré ces querelles, le président finlandais s’est dit " optimiste " sur le fait d’obtenir le soutien de la Turquie, " à l’aide de discussions constructives ".

" La Suède se réjouit de travailler avec la Turquie dans l’Otan et cette coopération peut être un élément de notre relation bilatérale ", a affirmé Mme Andersson, assurant que Stockholm " est engagé dans le combat contre toutes les formes de terrorisme ".

Des soldats suédois lors d’un exercice militaire à Visby, sur l’île de Gotland

 

A Washington, la diplomatie américaine a aussi affiché un certain optimisme. " Nous sommes confiants dans notre capacité à préserver le consensus au sein de l’Alliance " en faveur de l’adhésion, a dit son porte-parole Ned Price à la presse, assurant que ce sentiment n’avait " pas changé " malgré les déclarations du président turc.

Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken doit rencontrer mercredi son homologue Mevlut Cavusoglu à New York.

Après un bond spectaculaire en faveur de l’adhésion dans l’opinion publique, la Suède et la Finlande ont jugé nécessaire de se placer à l’abri du parapluie de l’Otan face à une Russie capable d’envahir militairement un de ses voisins.

Face aux risques de représailles russes, ils ont cherché ces dernières semaines des assurances de sécurité auprès de leurs voisins nordiques et des grandes puissances de l’Otan.

Seuls les membres de l’alliance bénéficient du célèbre article 5 de protection mutuelle, pas les candidats.

Le chancelier allemand Olaf Scholz a assuré mardi que son pays allait " intensifier " sa coopération militaire avec les deux nations nordiques.

Une adhésion à l’Otan, qui nécessite une ratification parlementaire des 30 membres de l’alliance, prend généralement plusieurs mois. La Suède a dit s’attendre à ce que le processus prenne au maximum un an.

Des soldats suédois lors d’un exercice militaire à Visby, sur l’île de Gotland

 

Embargo pétrolier

Les Etats membres de l’UE tentent de leur côté toujours de s’entendre sur un arrêt des achats de pétrole russe, refusé par la Hongrie, très dépendante de Moscou dans ce secteur et qui réclame dans ce cas des compensations financières.

Au terme d’une réunion infructueuse sur le sujet lundi à Bruxelles, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a concédé que finaliser le 6e paquet de sanctions contre la Russie prendrait " du temps ". Un sommet européen extraordinaire est prévu pour les 30 et 31 mai.

En attendant, le géant italien de l’énergie Eni a fait savoir qu’il allait se plier aux exigences du Kremlin en ouvrant un compte en euros et un autre en roubles auprès de Gazprombank afin d’honorer ses paiements pour la fourniture de gaz russe dus " dans les prochains jours ".

La Russie va quant à elle devoir réorganiser son secteur de l’énergie face aux sanctions européennes, tout en estimant que l’UE allait être la première à souffrir de son " autodafé économique " en renonçant aux hydrocarbures russes, a dit mardi Vladimir Poutine.

 

La France intensifie ses livraisons d’armes

La France va intensifier ses livraisons d’armes à l’Ukraine " dans les jours et semaines qui viennent ", a promis mardi le président Emmanuel Macron à son homologue Volodymyr Zelensky, confirmant les engagements annoncés fin avril.

La France a livré plus de 800 tonnes d’aide humanitaire à l’Ukraine depuis le début de l’offensive russe le 24 février, dont 13 véhicules de secours additionnels ce weekend.

Les deux dirigeants ont également " évoqué les garanties de sécurité que la France pourrait apporter à l’Ukraine dans le cadre d’un accord international, afin d’assurer le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du pays ".

Le président avait reproché le 12 mai à Emmanuel Macron de vouloir ménager une " porte de sortie " à Vladimir Poutine dans le conflit et estimé qu’il n’avait " pas besoin de faire de concessions politiques " à la Russie.

Le chef de l’Etat " n’a jamais rien discuté avec Vladimir Poutine sans l’accord du président Zelensky ", avait alors répliqué la présidence française.

 

Avec AFP