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La saison musicale de Beit Tabaris s’est achevée sur une note lumineuse, malgré les crises incessantes qui frappent le Liban. Cette résidence d’artistes a ainsi maintenu vivante, tout au long de l’année, la flamme de la musique d’art occidentale, affirmant son rôle musical central dans un Beyrouth en pleine tourmente.

Le rideau est finalement tombé sur une saison musicale particulièrement foisonnante. Beit Tabaris n’aura connu aucun répit. Guerre, impasse politique, détérioration de la situation sécuritaire, crise économique: aucun prétexte n’est valable pour fermer les portes de cette résidence d’artistes, consacrée à la musique d’art occidentale. Nichée au cœur de Beyrouth, Beit Tabaris s’impose désormais comme une référence dans ce domaine, alors que les institutions jadis de premier plan se montrent de moins en moins sous leur meilleur jour. "Plus ça va mal et plus il faut agir", ne se lasse de répéter Zeina Saleh Kayali, cofondatrice de ce projet musical. Infatigable, cette musicographe aura insufflé, tout au long de cette année, une telle vitalité à cette ruche que l’on aurait dit que sa propre vie en dépendait. Dans un Liban en déroute, déchiré par les guerres d’autrui sur son sol et gangréné par la corruption et la mauvaise gestion des affaires publiques, elle a porté, avec audace, la flamme de l’espoir. Ce faisant, elle a pavé une voie lumineuse à une jeunesse musicale avide d’atteindre des sommets.

Au gré des époques

Le dimanche 11 août, après un après-midi quelque peu mouvementé, le dernier mot a été confié à la musique. Le pianiste Sevag Derghougassian et la soprano Marianne Helou ont proposé la lecture d’un florilège d’œuvres. Ils ont ainsi couvert l’époque baroque de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), l’époque romantique de Fréderic Chopin (1810-1849), Jules Massenet (1842-1912) et Gabriel Fauré (1845-1924), ainsi que l’époque classique de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Si le répertoire était majoritairement ancré dans les époques (dites) classiques, la pièce maîtresse de la soirée – une création – était plutôt contemporaine, portant la signature du pianiste lui-même. À cheval entre les langues tonale et atonale, l’œuvre de Sevag Derghougassian, intitulée Song of Myself, met en exergue certaines polarités tout en exploitant des structures harmoniques non conventionnelles.

À l’instar des autres musiques intellectuelles du XXIe siècle, cette musique pour piano et voix, sur un texte de Walt Whitman (1819-1892), égrène des dissonances souvent complexes, conjuguées à une ligne vocale tantôt déclamée, où la soprano fait montre d’un recitativo appréciable, tantôt chantée. Il est crucial de s’adonner pleinement à l’écoute pour tenter de percer les mystères de cette œuvre, tant provocante qu’intéressante, qui explore les thèmes de la guerre et de la paix. Ce tumulte se résout finalement dans une ambiance manifestement plus sereine, les accords dissonants cédant la place à des harmonies plus classiques. Cette dernière partie place davantage la voix au premier plan: Marianne Helou déploie une palette vocale plus limpide, résolument lyrique par moments. La langue arménienne y est certainement pour quelque chose.

Un air de satisfaction

À l’issue de ce concert, la satisfaction se lisait clairement dans les yeux de l’auditoire, notamment dans ceux de Zeina Saleh Kayali. Et pour cause! Pour sa saison estivale, qui s’est déroulée du 25 juin au 11 août, Beit Tabaris a organisé cinq masterclasses à de jeunes talents libanais: de composition avec Naji Hakim, de piano avec Christine Marchais et Patrick Fayad, de saxophone avec Marc Sieffert et de direction d’orchestre avec Michael Cousteau. "Mis à part les concerts de fin de masterclass, nous avons organisé deux concerts de musique de chambre avec les jeunes de l’AUB Classical Club, d’une part, et Sevag Derghougassian et Marianne Helou, d’autre part", précise la musicographe libano-française, avant de poursuivre: "Nous avons atteint nos objectifs, car trente-deux jeunes musiciens ont pu bénéficier gratuitement d’un enseignement musical de très haut niveau dans ces différentes disciplines".

En dépit du marasme que vit le Liban, Zeina Saleh Kayali refuse de jeter l’éponge. "Il y a encore des personnes qui pensent que l’on peut venir en aide au Liban par le biais de sa jeunesse musicienne et de la culture", insiste-t-elle. Et de poursuivre: "Nos partenaires et mécènes, bien sûr, mais aussi tous les musiciens que nous contactons et qui acceptent avec enthousiasme, malgré la situation précaire, de soutenir ce pays qui compte aussi bien pour nous que pour eux". Heureusement qu’il subsiste encore des personnes de bonne volonté, convaincues du potentiel de ce pays et de ses capacités humaines. Des personnes qui osent défendre le visage noble de cette patrie, face à un obscurantisme grandissant qui s’efforce d’entraîner le Liban dans une spirale de violence et de sang. Dans le nouveau Liban qui s’esquisse actuellement, ne serait-il pas judicieux de confier le domaine musical, laissé à l’abandon par ceux-là mêmes qui étaient censés le protéger, à des personnes comme Zeina Saleh Kayali? À bon entendeur.

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