Omar Harfouch: l’ancien playboy qui se verrait bien Premier ministre du Liban
«Ici Beyrouth» avait déjà relaté ces faits, nos confrères d’ «Entreprendre» ont mené leur enquête. 

Tribune. Le Liban traverse la pire crise politique et économique depuis son indépendance en 1943. Les élections législatives du 15 mai dernier ne vont malheureusement rien changer. Mais le pire est à venir. Enquête sur un pays en proie à l’appétit d’hommes d’affaires pro-russes peu scrupuleux représentés par un playboy sulfureux, Omar Harfouch, avec la bénédiction du Hezbollah, du président Aoun et de son clan.

Le général Michel Aoun est président de l’État libanais depuis le 31 octobre 2016. Âgé de 87 ans, son mandat prendra fin le 30 octobre 2022. Fondateur du parti Courant patriotique libre, il doit son élection à une alliance contre nature avec le Hezbollah.

Proche de Jean-Marie Le Pen lorsqu’il était en exil en France, il a été un des chefs d’État à recevoir avec tous les honneurs Marine Le Pen à Beyrouth le 20 février 2017. Elle était accompagnée à l’époque de son conseiller diplomatique, Omar Harfouch.

Une autre obsession pour le vieux «Général» qui regrette de n’avoir pas eu de fils: Tout faire pour que son gendre, Gebran Bassil, marié à sa fille Chantal, soit le prochain Président. Mais voilà, le gendre est accusé par le Trésor américain de «corruption, trafic d’influence, détournements de fonds publics», la liste des accusations américaines est accablante pour le leader libanais, désormais interdit d’entrée aux États-Unis où ses avoirs ont été gelés. Bassil est aussi l’artisan de l’alliance déterminante entre le parti de Michel Aoun et le Hezbollah qui a permis l’élection de son beau-père à la présidence. Et c’est sans doute ce qui a aggravé son cas aux yeux de l’administration américaine.

Le seul rempart: le gouverneur de la banque centrale du Liban, Riad Salamé, pro-américain. Le bouc émissaire idéal. Un homme à abattre à tout prix!

Le chef de l’État s’en est pris à Riad Salamé, s’interrogeant sur son maintien à son poste en dépit de l’effondrement du système financier et l’accusant de manipuler les différents taux de change mis en place.

Si Riad Salamé est destitué, tombera alors la dernière institution qui échappe aux forces alliées au parti chiite Hezbollah. Gouverneur de la banque centrale du Liban depuis 1993, il est accusé par une grande partie de la population d’être l’un des responsables de la crise actuelle, marquée notamment par une importante dépréciation de la livre libanaise sur le marché parallèle et le blocage des dépôts en devise dans les banques libanaises.

Le président Aoun refuse de terminer son mandat avant d’avoir «déboulonné» Salamé, car il estime que le fait d’écarter ce «symbole de la période précédente», qu’il accuse d’être responsable de la crise financière, serait considéré comme un succès et un exploit pour le chef de l’État et son parti, le CPL. Son éviction serait une victoire aux yeux de la population et permettrait à Aoun d’imposer alors son gendre comme nouveau Président du Liban.

La stratégie, menée par le Hezbollah, de déconstruction de l’État central et de déstabilisation continue, voire s’accélère, même si le parti a globalement perdu les dernières élections législatives. Le pays a sombré dans une crise économique et financière qui permet au groupe terroriste de contrôler enfin le pays. Il ne reste qu’un seul barrage: le gouverneur de la banque centrale qui a évité au système bancaire de s’effondrer totalement et de priver les déposants de leur épargne. Le Hezbollah souhaite nommer un gouverneur qui adopterait une approche différente et respecterait moins les demandes américaines envers le secteur bancaire libanais.

C’est le gendre du président Aoun, Gebran Bassil, qui est à la manœuvre. Il fait appel à deux personnes clés. Tout d’abord, la cousine du Président, Ghada Aoun, procureure générale près de la cour d’appel du Mont-Liban et bras armé judiciaire de la Présidence, et Omar Harfouch, que l’on a connu en France pour avoir participé à l’émission de téléréalité «Je suis une célébrité, sortez-moi de là!» diffusée sur TF1 en juillet 2006.

Autant l’implication de Ghada Aoun n’est pas une surprise, autant la présence d’Omar Harfouch est assez surréaliste.

Ce libanais sunnite a fait «fortune» en Ukraine et tente depuis plusieurs années d’exister à nouveau mais dans son pays d’origine, le Liban, avec l’ambition de devenir Premier ministre, poste réservé à un Sunnite. Un rêve sans doute mais en tout état de cause, il jouera un rôle important dans les prochains mois.

Omar Harfouch va alors mettre à disposition son argent et son réseau dans le but de «liquider» Riad Salamé.

Un avocat médiatique spécialisé et militant des droits de l’homme diligenté pour porter plainte contre le gouverneur.


Tout d’abord, il fait appel à son ami avocat William Bourdon, président fondateur de l’ONG Sherpa, association qui lutte contre la corruption, qui dépose une plainte en France contre le gouverneur pour des soupçons de biens mal acquis en mai 2021. Cette plainte est traitée par le parquet national financier. Omar Harfouch a été un des généreux donateurs de l’association dans le passé. A la même époque, il finançait aussi un autre de ses amis, Robert Ménard, alors président de Reporters sans frontières. La plainte déposée par Bourdon est bien entendu reprise immédiatement par Ghada Aoun, qui s’empresse de l’instruire au Liban.

Une agence d’intelligence économique et des «journalistes» pour nuire à l’image du gouverneur.

Une sénatrice pour crédibiliser l’action d’Omar Harfouch.

L’autre mission d’Omar Harfouch est de donner de la crédibilité politique à son action et démontrer qu’il peut lutter contre la corruption et le plus corrompu, le gouverneur de la banque centrale du Liban, Riad Salamé. Il peut compter sur son amie, la sénatrice UDI de l’Orne, Nathalie Goulet, pour organiser un colloque afin de réfléchir à «l’indemnisation des victimes de la corruption et des conflits armés». Autant de causes louables qui ont permis à cette noble assemblée de défendre les victimes ukrainiennes de l’armée russe et les petits épargnants du Liban. Sauf que les têtes d’affiche de cette réunion improbable étaient animées par beaucoup d’arrières pensées: la procureure libanaise, Ghada Aoun, instrument judiciaire de la présidence libanaise contre Riad Salamé, et l’avocat William Bourdon, à l’origine des plaintes contre le gouverneur. La procureure s’affiche donc en public avec la partie civile du dossier qu’elle instruit! Ce voyage ayant été pris en charge par… Omar Harfouch. Surréaliste!

Mais que dire de la sénatrice Goulet, mise en cause dans plusieurs dossiers sensibles de financement politique (Qatar, Azerbaïdjan), qui s’est rendue à plusieurs reprises, sur l’invitation de Omar Harfouch, dans la circonscription où le mystérieux homme d’affaires s’était porté candidat et a perdu. Par ailleurs, il ressort d’un document officiel du Sénat français (que nous avons consulté) que la sénatrice a effectué de nombreux déplacements en Ouzbékistan et au Liban, et tout ça aux frais de Omar Harfouch.

Mais qui est vraiment Omar Harfouch? Pour beaucoup, il est juste un ancien playboy un peu sulfureux. Or il est bien plus que cela.

Sa fortune serait, selon ses propres dires, due au succès d’un groupe de presse, d’une télévision, OTV, et d’une agence de mannequins alors qu’il était en Ukraine. Mais voilà, tout cela est faux. Il n’était à l’époque (dans les années 2000) que l’«associé» de Vadim Rabinovich, qui lui avait confié la direction d’un seul magazine, «Paparazzi», et l’hébergeait dans ses locaux de Kiev où se trouvait la télévision OTV, propriété de Vadim Rabinovich.

Vadim Rabinovich est un milliardaire ukrainien, condamné pour détournement de fonds publics à l’époque de l’URSS, puis enrôlé par le KGB. Il est à la tête du parti d’opposition «Pour la vie», qui a fait allégeance totale à la politique et l’idéologie de Moscou. Il est aussi le bras droit de Viktor Medvedtchouk, un oligarque et magnat de médias pro-russes très proche de Vladimir Poutine (il est même le parrain de sa fille Dacha), actuellement accusé par les services de sécurité ukrainiens de «haute trahison», pour avoir transmis aux Russes des informations confidentielles, et de «tentative de pillage des ressources en Crimée occupée». De beaux pédigrées.

Et encore la sénatrice Nathalie Goulet!

Les deux hommes peuvent compter sur une amie française, la sénatrice Nathalie Goulet, que revoilà, qui cultive une grande amitié avec Vadim Rabinovich depuis 2015: sur son invitation, il est venu à plusieurs reprises au palais du Luxembourg où il est, selon elle, «toujours le bienvenu». Elle l’a reçu notamment au Sénat, le 21 juin 2021, afin de discuter de «l’antisémitisme en Ukraine». Fin mai 2021, elle s’est rendue en Ukraine, tous frais payés, invitée par Vadim Rabinovich.

Omar Harfouch ne serait donc que l’instrument de milliardaires peu scrupuleux, aux affaires plus que troubles, qui s’intéressent aux gisements d’hydrocarbures au large des côtes du Liban ou, pire encore, l’homme qui pourrait faire en sorte que la Russie mette la main sur le Liban.

N’oublions pas que la Russie a sauvé le régime de Bachar al-Assad, le président syrien, puissant voisin du Liban et dont les forces armées sont depuis longtemps présentes dans ce pays, que le Hezbollah, allié de la Syrie, a envoyé des combattants en Ukraine pour soutenir les troupes russes et qu’enfin, le gendre du président Michel Aoun, Gebran Bassil, alors ministre des Affaires étrangères, a été reçu le 29 avril 2019 par Vladimir Poutine et son homologue russe, Sergueï Lavrov.

Oui mais voilà, il faut que le gouverneur de la banque centrale du Liban, Riad Salamé, trop diligent vis-à-vis des États-Unis, soit remplacé par un gouverneur plus arrangeant afin que le gendre du Président puisse prendre sa place, malgré les accusations de corruption, pour que le Hezbollah puisse contrôler le pays. Ces apprentis sorciers savent-ils que Omar Harfouch, qu’ils considèrent comme un pantin et qu’ils nommeront peut-être même très prochainement Premier ministre, aura à cœur de rendre à ses puissants parrains ce qu’il leur doit?

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Avec Entreprendre
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