Au nombre de trois, les sœurs Mukhi ont lancé une marque de bijoux du nom de Mukhi Sisters en 2009. Issues d’une famille de bijoutiers du côté maternel comme paternel, Maya, Meena et Zeenat Mukhi revendiquent fièrement leur héritage indo-libanais, qui contribue à rendre leurs créations uniques.

Nous pouvons faire remonter l’histoire de cette entreprise aux années 1920, lorsque leur grand-père paternel, accompagné de ses cousins, quitte l’Inde pour venir s’installer au Moyen-Orient. Bijoutiers de père en fils, ils ouvrent des bijouteries en Égypte, en Syrie, en Libye et au Liban. En 1979, Chandru Mukhi, le père des sœurs Mukhi, épouse une femme libanaise, Effat Kreidieh. Cette dernière a ouvert sa propre boutique de bijoux, Effy’s Jewellery, en 1982 à Beyrouth. Influencées par leur milieu familial, Maya, Meena et Zeenat décident de se lancer à leur tour dans cette industrie. Tout en assurant la continuité de la tradition familiale, elles ont la volonté de proposer un style de bijou qui leur est propre.

Nous avons eu l’occasion de rencontrer Maya Mukhi, qui est à la fois créatrice de bijoux et manager de la marque. Elle nous a raconté la genèse et l’évolution de la marque Mukhi Sisters.

Comment l’aventure des Mukhi Sisters a-t-elle commencé? 

Depuis toute petite, je savais que je voulais être créatrice de bijoux et qu’un jour, j’allais fonder ma propre entreprise. Bien sûr, j’avais la possibilité de travailler avec mes parents, mais travailler dans une entreprise familiale déjà établie signifiait avoir peu d’espace pour exprimer sa propre créativité. Il était très important pour moi d’être indépendante, de pouvoir gérer mon entreprise à ma façon et d’avoir l’opportunité de présenter mes propres designs aux clients. En 2009, j’ai décidé de faire en sorte que ce projet voie le jour et j’ai proposé à mes sœurs Meena et Zeenat, qui étaient chacune engagée dans sa propre trajectoire de vie, de me rejoindre dans cette aventure. En 2011, nous avons ouvert une petite boutique aux Beirut Souks avant de nous installer dans une boutique plus grande en 2017, qui a été détruite lors de l’explosion. Parallèlement à ces deux boutiques, la marque s’est fait connaître grâce aux réseaux sociaux et nous avons développé la vente de nos produits en ligne. Avec la pandémie, les façons d’opérer ont changé et les gens ont commencé à acheter beaucoup plus sur Internet. L’année dernière, nous avons donc pris la décision de recevoir nos clientes dans notre showroom au centre Dedeyan. Il n’était plus nécessaire d’avoir une boutique, mais seulement un endroit où nous pouvons les accueillir individuellement, car nous aimons beaucoup interagir avec elles.

Comment vous organisez-vous pour pouvoir travailler entre sœurs? 

Nous sommes meilleures amies, mais gérer une entreprise en famille est un vrai challenge. Faire partie de la même famille ne veut pas dire que l’on s’entend bien, surtout lorsqu’il s’agit de travailler ensemble: chacune a ses propres idées, sa manière de vouloir faire les choses… Avec le temps, on a gagné en maturité et on a compris que si on voulait que ça marche, il fallait que chacune ait sa spécialisation et non pas que tout le travail repose sur une seule personne.

Quelles sont ces spécialisations? 

Je suis la manager de la marque et je crée des bijoux. Meena est directrice commerciale et Zeenat gère la boutique en ligne et crée également des bijoux.

Vos postes actuels sont-ils en lien avec les études que vous avez faites? 

Oui et non. J’ai un diplôme en business marketing, avec une mineure en graphisme. Je suis aussi gemmologue. Meena a étudié le management et à l’origine, Zeenat est architecte d’intérieur. Mais nous avions déjà une expérience en tant que bijoutières avant même de fonder notre marque, car nous travaillions avec notre famille depuis toutes petites.

Pourquoi avoir choisi le nom Mukhi Sisters? 

Nous ne voulions pas d’un nom trendy, qui passe avec la mode, mais d’un nom qui nous représente. Mukhi, c’est notre nom de famille. Ce nom est une référence dans l’industrie des bijoux et nous voulions ainsi perpétuer la tradition familiale. Sisters car nous vivons dans une société patriarcale et en règle générale, le nom des entreprises familiales, c’est le nom de famille & fils ou & frères. Nous voulions nous faire une place dans cette industrie en tant que femmes et raconter notre histoire à travers nos bijoux. Ce nom est aussi une référence à notre sororité et à celle que l’on a développée avec nos clientes, car certaines sont devenues comme des membres de notre famille.

Comment définiriez-vous votre style de bijou? 

Nos bijoux ne sont pas des bijoux classiques. Leur style est poétique, bohemian, à la fois luxe et rock’n’roll… En théorie, ils sont pensés pour les femmes, mais en pratique, ils sont genderless. Nous sommes également connues pour superposer les bijoux (“layering” en anglais). Je travaille aussi souvent à partir de pièces que mes parents m’ont offertes. J’ai accès à des pierres qui ne sont pas commercialisées et j’aime beaucoup faire de nouveaux bijoux avec les leftovers de ma mère, c’est un genre d’upcycling.

Chaque année, on lance une collection inspirée d’une histoire que l’on a vécue. L’année passée, nous avons créé une collection qui s’appelle "Better than yesterday" ("mieux qu’hier"). Elle est très symbolique pour nous. Le monde traversait une pandémie et nous avions beaucoup de problèmes sur le plan personnel. Pourtant, à chaque fois que je demandais à ma sœur comment elle allait, elle me répondait: "better than yesterday". Cela lui donnait de la force et me donnait de l’espoir. Nous avons voulu communiquer cet état d’esprit à nos clientes à travers nos bijoux, afin qu’ils puissent servir à répandre l’optimisme.

Quel lien gardez-vous avec l’Inde? Ce lien vous différencie-t-il des autres marques de bijoux libanaises? 

Nous ne sommes jamais allées en Inde, mais nous nous sommes jurées qu’un jour nous ferions ce voyage à trois. Il y a toute une partie de nous que nous ne connaissons pas et depuis que nous sommes toutes petites, nous savons que quelque chose nous différencie des autres. Lorsque nous sommes avec des Libanais, nous sentons que nous ne sommes pas totalement libanaises. C’est la même chose lorsque l’on côtoie des Indiens. Nous avons grandi dans une maison indo-libanaise, où l’on suivait les traditions des deux cultures. Ma mère est musulmane et mon père était hindou, nous faisons le ramadan et célébrons diwali. Au lieu de tenter de camoufler cette différence et de vouloir se conformer aux autres, nous ne l’avons jamais vue comme une chose négative. Cela est devenu notre force et c’est ce qui fait la particularité de nos bijoux, tous fabriqués entre le Liban et l’Inde.

Par Amaya Singh

Cet article a été originalement publié sur le site de l’Agenda culturel.