Godard est mort. Je l’aurais cru immortel, comme les grands, les très grands, il a su guider mon parcours initiatique dans l’imaginaire du cinéma, des films sans concession, inefficaces à outrance, souvent incompréhensibles, mais flamboyant de beauté pure, dépourvus de toute émotion facile, jusqu’à atteindre un degré de lyrisme inégalé au cinéma. Godard est une pensée, Godard est une philosophie, Godard est l’Histoire du cinéma, mais pour moi, Godard est une rencontre, comme toujours une rencontre libanaise.

Nous sommes dans les années 80, anarchie, violence et désolation. Isolé par la guerre, une brèche reste ouverte, elle distille au compte-goutte des livres, des films… Et puis Pierrot le fou, Belmondo, Karina, Devos, des citations débitées comme une musique, des chansons, de l’amour, de l’humour et des couleurs comme je n’en avais jamais vu. Une légèreté profonde et tragique se dégageait de ce film et de tout le cinéma ultérieur de Godard. La mort de Belmondo à la fin du film n’est pas une mort, c’est un feu d’artifice bleu, c’est une farce dramatique comme toute l’œuvre de Godard.

Chez lui, tout est sérieux, mais tout prête au rire, même ses films les plus révolutionnaires. Tout est imprégné de l’Histoire du cinéma, inspiré par le chef-d’œuvre du passé, et tout vise à déconstruire ce passé, le remodeler, y introduire la modernité, le regard nouveau, le regard de l’imaginaire dépouillé de l’efficacité du plan, de la linéarité du récit. Le cinéma de Godard est une essence, un fondement, le matériau brut expérimental qui a longtemps propagé la modernité dans la paresseuse production cinématographique française et internationale. De la surimpression, au montage, en passant par la musique, la direction d’acteur, l’Histoire, la philosophie, le générique, son œuvre a été un condensé incroyable de tous les supports de l’art intégré dans le cinéma. Ce cinéma que nul autre que lui n’a aussi bien compris, puis remis en question pour en devenir au final la conscience incontournable, cette Histoire incontournable du XXe siècle qu’il a magnifiée dans ses Histoire(s) du cinéma, un monument encyclopédique d’archives, superposés comme un collage scientifique, où chaque plan a une signification, du plus incompréhensible au plus intelligible. L’Histoire est subjective, sa narration aussi et sa mise en scène cinématographique encore plus. J’ai la prétention de croire que Godard revendiquait cette subjectivité au nom de la liberté du regard cinématographique.

En apprenant la mort de Godard, je n’ai senti ni amertume ni tristesse; le personnage ne se prêtait pas à ce genre d’élan émotionnel; son sens du plan, sa conception de l’esthétique étaient dépourvus de sentimentalisme. J’ai quand même ressenti la nostalgie d’une page de la nouvelle vague qui se tourne. Pour me changer les idées, j’ai pensé automatiquement à une interview qu’il avait donnée, il y a plusieurs années. Il parlait de tennis, de la médiocrité des diffusions de match et il espérait un jour pouvoir filmer un match avec un regard nouveau, le sien, inégalable. Tennis par Godard! ça n’a jamais été fait. Et son enterrement, filmé par Godard, ne se fera jamais! Et pourtant quel chef-d’œuvre ça aurait pu être. La frustration de l’art est éternelle.

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