"La dame d’en face est partie." J’ai entendu la voisine du palier dire ça à son amie en fermant la porte de chez elle. Je le savais déjà. La dame d’en face était beaucoup pour moi. Elle est partie.

Elle a laissé dans son sillage les effluves d’un parfum oriental capiteux, son essence, sa trace puissante et inoubliable, mêlés à ceux de sa dernière cigarette aussi. Rien de désagréable comme senteur, c’était la sienne.

Quand j’ai franchi le seuil de l’appartement, j’ai ressenti son absence parce que mon cœur s’est… dégonflé. Comme un vieux ballon, mon cœur s’est fripé.
J’ai retiré mes sandales, j’ai parcouru le couloir, sentant mes plantes de pieds nus s’enfoncer dans le tapis blanc à poils longs et duveteux qui se déroulait pour m’amener jusqu’à la chambre, pour m’emmener au pays des souvenirs.
J’ai manqué de marcher sur la queue de la chatte, blanche elle aussi, lovée à l’entrée de la cuisine; vu l’heure, elle devait attendre son chocolat.

J’ai jeté un œil dans la salle à manger à travers la baie vitrée: je l’ai vue danser dans sa jupe crayon rouge, assortie à son gilet garçon de café, porté sur sa chemise de flanelle noire. La hanche qui roule, la jambe élégamment tendue, les joncs qui tintent aux poignets, le sourire accroché à ses lèvres carmin.

En face, dans le salon aux fauteuils grenat, ce sont les tasses de café fumant et les maamouls aux dattes que j’ai humés, leurs odeurs envoyées à mes narines par les hélices du ventilateur qui tournait, nous avions si chaud.

Au fond, dans sa grande chambre, c’est près de la coiffeuse que je me suis arrêtée. Je n’ai pas contemplé mon reflet dans le miroir terni, mais la photo de famille glissée dans l’encadrement. Sans les cheveux noir corbeau coupés au carré, frères et sœur étaient les mêmes.

Posés en désordre sur le meuble, les écrins à bijoux se sont adressés à moi: "Prenez ce qui vous plaira, mes amours." Colliers de perles, boucles d’oreilles, broches, bracelets. Nous étions à la fête. Nous pouvions te ressembler.
Derrière le lit, la porte de la penderie était mal fermée, je n’ai pas osé m’approcher des robes abandonnées ou des foulards orphelins… mes yeux se sont embués.

Souriez, ce n’est pas une histoire triste.
C’est une histoire de vie.
Mon cœur s’est regonflé, il a même battu fort tandis que les larmes couraient librement sur mes joues.
Elle est partie mais n’est pas loin. Pour elle tout est doux maintenant et elle n’est pas seule.
Elle est partie en utopie. "Nous la retrouverons en nostalgie."

Cette pensée me vient d’une poétesse que j’affectionne. Elle s’impose à moi. Outre sa beauté et l’apaisement qu’elle me procure, j’ai la certitude qu’elle est une promesse: nous la retrouverons.

Cette phrase est inspirée du titre du recueil de Michèle Gharios  Nous n’irons plus en nostalgie.

 

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