Il m’a été rapporté une scène assez surréaliste, survenue dans le dernier épisode de la minisérie consacrée à la mystérieuse Diane de Poitiers sur France 2.

Dans un décor somptueux, Catherine de Médicis (Gaia Girace) entreprend de montrer ses nouvelles chausses à la mode à Diane de Poitiers (Isabelle Adjani). Voici le dialogue:

J’ai porté ces chaussures à talons d’Italie, c’est Louboutino, lé grand cordonnier dé Vénise qui les a imaginées pourre moi. J’en ai plousieurs paires. Vous en voulez?

Nous sommes au XVIe siècle. Catherine de Médicis fait admirer à Diane de Poitiers ses Louboutin à la semelle rouge caractéristique depuis le début des années 1990. Et Diane de Poitiers, subjuguée, pâmée, s’agenouillant devant elle, en caressant les magnifiques chausses:

Louboutino, mais ce Louboutino est un génie. Oui, vous devriez les appeler les Louboutines ou les bottines, ces petits talons qui ont un effet magique sur les silhouettes…

Il est fréquent que des allusions publicitaires, plus ou moins subliminales, plus ou moins subtiles, apparaissent dans le septième art. Mais là, convenons-en, dans le contexte historique de la Renaissance française, c’est une bombe! Et, comme disait Octave Mirbeau: "Le plus grand danger de la bombe, c’est dans l’explosion de bêtise qu’elle provoque."

Désormais, tout est possible, tout est plausible.

Imaginons que dans La Guerre du feu, le chef-d’œuvre de Rosny Aîné (président de l’Académie Goncourt entre 1926 et 1940), Naoh parvienne à ramener au chef Faouhm le feu, avec, en sus, pour un allumage réussi, une bouteille de Pat Allume barbecue.

Imaginons Cléopâtre roulant sur le sol devant César, par la grâce de son serviteur Apollodore déroulant un tapis de chez Saint Maclou. (Lequel aurait été canonisé par Paul VI dans le plus grand secret en 1963…)

D’ailleurs, Cléopâtre était grecque et pas égyptienne. Elle devait être passionnée de Décathlon.

Imaginons Don Carlos, surprenant Dona Sol et Hernani, dans la pièce éponyme de Victor Hugo, lorsqu’il se lance dans cette célèbre tirade: "J’entre ici par surprise. Je me cache, j’écoute, à ne vous celer rien; mais j’entendais très mal et j’étouffais très bien. Et puis, je chiffonnais ma veste à la française. Ma foi, je sors!" Et, surpris, Hernani, avant de croiser le fer avec son rival, de répondre: "Pour votre veste à la française malheureusement chiffonnée, le repassage, c’est Calor!"

Nous pourrions multiplier ces exemples à l’infini.

Mais nous n’en sommes pas à une billevesée près, car la présence de Gérard Depardieu, dans le rôle de Michel de Nostredame dit Nostradamus, est étrange. Saviez-vous que ce dernier était médecin et que – grâce à une mesure d’hygiène élémentaire – à Marseille, il triompha de la peste en neuf mois? Il fut, de son vivant, bien plus connu pour son Traité sur les confitures (Bonne Maman, bien sûr) que pour ses désormais célèbres centuries rédigées dans un langage totalement abscons et dans un ordre qui nous échappe, avec l’emploi d’anagrammes, de calembours, de métaphores, dans un ancien français proche du provençal, avec des mots hébreux, latins et celtiques. Ce charabia, dont il avait secret, nous amène à celui du Quatrain 35 sur la mort accidentelle d’Henri II. Il est dommageable pour les amateurs de mystères que cette pronostication soit apocryphe, car elle n’a été attribuée à la mort d’Henri II qu’au milieu de XVIIe siècle. Nostradamus n’a donc pas averti qui que ce soit de l’issue fatale du tournoi à cette époque… Si l’auteur des dialogues avait été plus sérieux, il n’aurait pas commis cette très grave erreur historique.

Le problème, c’est que le scénariste du film et auteur des dialogues n’est autre que Didier Decoin, président de l’Académie Goncourt! C’est à croire que la publicité, qui se repaît d’attraper les imbéciles, rend insolent, double la bêtise des sot, et rend encore plus bêtes les gens d’esprit… Les grands polémistes et pamphlétaires du XIXe siècle comme Jean Lorrain, Octave Mirbeau, Laurent Tailhade, Séverine (journaliste très redoutée) ou Willy auraient rappelé au président Decoin, avec bien plus de talent que ma modeste plume, le contenu du testament d’Edmond de Goncourt: " Pour avoir l’honneur de faire partie de la Société, il sera nécessaire d’être homme de lettres, rien qu’homme de lettres…"

Si j’ai la chance de retourner un jour à Venise, je demandera volontiers aux gondoliers pourquoi ils ne font pas honneur aux chausses si pratiques de Christiano Louboutino au lieu de leurs frioulanes, ces espadrilles qu’ils ont aux pieds, faites de velours ou de satin, et dotées de semelles antidérapantes… Alors, les fameuses bottines du cordonnier vénitien Louboutino, qui coûtent selon les modèles plusieurs SMIC, nos compatriotes n’en ont cure, et surtout pas au sein de la reconstitution d’une fresque "censée" être historique. Convenons-en: le président de l’Académie Goncourt (s’il est bien l’auteur de ce fumeux dialogue) aurait pu s’éviter un tel opprobre en vendant ainsi son esprit. C’est à croire que – dans ce monde – la bêtise est désormais souveraine.

Tout cela m’a donné l’envie de revoir Les Rois maudits, cet immense chef-d’œuvre de Maurice Druon de l’Académie française. Je m’en réserve le visionnage les soirs de Coupe du monde de football, dont l’Italie est absente, ce qui représente un sérieux manque à gagner pour leur équipementier officiel, Christiano Louboutino. Mais déjà – selon le Figaro du 16 novembre dernier – un grave danger menace nos compatriotes: l’inflation des produits phares pour les soirées réussies entre supporters! En effet, bières, chips, sodas, pizzas ont fortement augmenté, et cela risque de tout gâcher! "Pour passer un bon moment tout en évitant de se ruiner, les Français cherchent donc des solutions". Voilà un problème très sérieux que – Dieu merci – n’ont pas les Libanais, privés d’électricité, incapables de se soigner, attendant toujours la vérité sur l’explosion du 4 août 2020 qui a plongé leur pays dans le chaos, et désormais menacés par une grave épidémie de choléra.

Parmi tous les scenarii qui se présentent afin de sauver ces pauvres Français qui souffrent, frustrés par l’inflation des packs de bière, menacés de surendettement à cause de la cherté des denrées indispensables aux soirées jouissives entre mâles, il est en une que pourrait proposer Monsieur le président de l’Académie Goncourt: contraindre leurs épouses ou compagnes – comme Catherine de Médicis – à céder leurs trop nombreuses paires de Louboutines sur Le Bon Coin…