A-t-on idée de mourir à 71 ans en plein Mondial? À l’heure où le tapage que vous avez passé votre vie à fuir est omniprésent. Apprendre votre décès en plein aéroport sans âme est la plus cruelle des souffrances. Alors que les clameurs festives accompagnent chaque but marqué au sein d’un match dont on peine à retenir les noms des pays qui se disputent un ballon rond, l’avis de votre décès tombe comme une cruelle sentence. Mon cœur, nos cœurs marquent un temps d’arrêt, puis crient en silence, pleurent en dedans, comme des projets de fœtus qui meurent dans l’œuf, étouffés. Voilà. Ça ressemble à ça, votre disparition.

Pourquoi? Pourquoi vous? Pourquoi pas quelqu’un de moins talentueux, qui aurait oublié la poésie des mots. Pourquoi pas ces "moins-que-vifs" qui s’enorgueillissent d’un talent qu’ils ne possèdent pas. Pourquoi vous? Vous qui faisiez partie des rencontres post-Covid planifiées… Encore une histoire d’amour manquée. Vous l’auriez si bien écrite, cette fin; cette faim de vous voir enfin. Mais le rideau est tombé et l’espoir de réaliser ce rêve avec lui. Qui vous racontera? Qui parlera, sans jamais tarir, de vos ouvrages lus et relus à l’envi? De vos phrases qui portent votre signature, reconnaissable entre toutes,  que nous annotons soigneusement sur chaque page de chacun de vos livres. Vos phrases sont des perles.  Vos mots resteront des perles. Chacune d’entre elle pourrait d’ailleurs constituer le titre d’un roman. Écriture dense. Fluide. Magique. Poétique. Non. Certains êtres n’ont pas le droit de mourir, parce qu’ils sont responsables d’autres êtres suspendus à l’hameçon de leurs mots. Ces êtres sont désormais en apnée. Orphelins de votre talent. Tout ce qui est vivant sur Terre vous pleure, oui, même " (…) un papillon, le lézard qui s’enfuit sur le mur, l’insecte observé dans l’herbe… "(…)
Votre plume nous a reconnectés avec notre monde intérieur; vous avez réveillé l’enfant en nous; un enfant émerveillé par votre regard sur le monde, celui puisé dans votre lexique personnel. Ah, ce pouvoir du mot que vous détenez, à qui l’avez-vous légué? Quelle étoile soufflera votre magie à l’oreille de l’une de vos muses? Qui construira ce pont entre le visible et l’invisible pour donner voix au passeur de mots que vous êtes ; le passeur le plus sensible de ce XXIe siècle.
Vous dire adieu est trop dur. À bientôt, à toujours, pour nos rendez-vous secrets dans les pages de vos livres-talismans. " Les livres sont des âmes, les librairies des points d’eau dans le désert du monde "… Vous avez pris avec vous tous les mots…

Bélinda Ibrahim
[email protected]

 

Christian Bobin n’écrira plus…

"Qui n’a pas connu l’absence ne sait rien de l’amour." Christian Bobin.

Après avoir déversé toute sa douleur, tout son amour, toute sa tendresse sur du papier, Christian Bobin, né au Creusot, dans le sud de la Bourgogne, s’est éteint un jour comme un autre, un 25 novembre 2022. C’est sa maison d’édition, Gallimard, qui a annoncé la nouvelle, chez qui il avait publié Le Muguet rouge, ainsi qu’une anthologie d’œuvres choisies dans la collection Quarto, Les différentes régions du ciel.

Christian Bobin s’est éteint, pour aller rejoindre la "plus que vive", laissant derrière lui une trace d’encre indélébile, dessinée aux couleurs de l’âme, de la poésie de la vie, de la psychologie de la mort et de tout ce qui l’entoure; l’absence, la solitude, le souvenir, la tristesse, mais aussi la lueur de la douceur, la quiétude de l’évasion, la beauté des traits, la timidité de l’amour, la soif des rencontres… et la simplicité de l’émerveillement.

Comme une hirondelle à fleur de mots, il s’en est allé rejoindre le ciel qui s’illuminera de prose poétique.

"Tu meurs à quarante-quatre ans, c’est jeune. Aurais-tu vécu mille ans, j’aurais dit la même chose: tu avais la jeunesse en toi, pour toi. Ce que j’appelle jeune, c’est vie, vie absolue, vie confondue de désespoir, d’amour et de gaieté. Désespoir, amour, gaieté. Qui a ces trois roses enfoncées dans le cœur a la jeunesse pour lui, en lui, avec lui. Je t’ai toujours perçue avec ces trois roses, cachées, oh si peu, dessous ta vraie douceur." Christian Bobin.

Tu meurs à 71 ans, Christian. C’est jeune. On t’appelle Christian parce que tu nous as côtoyés, de nuit en nuit, sur notre table de chevet, alors que l’absence se faisait quotidienne et s’incrustait dans nos os, comme un froid à l’âme dont on ne revient pas. Aurais-tu vécu mille ans, nous aurions dit la même chose: tu avais la jeunesse en tes mots, pour toi, pour elle, pour nous. "Désespoir, amour, gaieté", dis-tu. Tu nous auras donné, chaque fois que l’on feuilletait un de tes livres, une rose, une de ces trois. Comme une preuve qu’après l’après, après les maux, resteront les mots… Et puis, comme toi, un jour, une rose de moins…

Lui qui a si bien incorporé la mort à l’amour au quotidien, nous apprendra-t-il à lire sans l’espoir qu’il écrive encore? Lui, l’accompagnateur de tous les deuils, relationnels, parentaux, quotidiens, détient-il maintenant la vérité ultime de l’après? Y aura-t-il un après, après ses mots? Quels mots viendront accompagner le vide des coeurs et des âmes des poètes qu’il arrosait de larmes sublimes et qu’il parsemait de roses humblement, discrètement, comme une "main de (la) mère relevant avec nonchalance une mèche de cheveux sur le front de son enfant"?

Christian Bobin nous aura légué avec sa plume "une douceur qu’une vie entière n’épuisera pas".

Marie-Christine Tayah

Instagram : @mariechristine.tayah

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !