" Celui qui espère embrasser tous les chemins risque fort de n’en étreindre aucun ; une des choses est de sortir de soi, une autre est de se croire soustrait à la nécessité du choix, c’est-à-dire d’un cadre qui, en nous restreignant, conditionne aussi notre liberté. " Pascal Bruckner, L’Euphorie perpétuelle – Essai sur le devoir de bonheur.

Il y a la vie et ses impondérables, et il y a le temps, compté. Ce tic-tac à rebours qui vous limite. Cette horloge qui s’arrêtera un jour, bien avant que vous ayez assouvi votre faim de la vie. Il y a, avec le temps qui passe, cette urgence à embrasser l’univers tout entier. Cette envie de s’y fondre jusqu’à satiété. Parce que ce temps-là n’est plus celui de vos vingt ans : celui de l’ingénue insouciance dopée par une pseudo-immortalité à laquelle vous aviez cru, à l’époque, assez fermement. Qu’une vie serait interminable, que vieillir serait improbable. Voilà que vos souvenirs se comptent, désormais, en décennies. Qu’avez-vous fait tout ce temps-là ? Avez-vous assez aimé, vibré, donné, reçu ?
En tout cas pas pour les êtres épris d’infini ; pour lesquels grandir ne signifie pas perdre son élan pour la vie ou travestir son âme d’enfant en endossant le masque d’un adulte assagi. Ces petites lumières qui ne demandent qu’à être continuellement allumées en vous, il faudrait les chérir comme de précieux trésors. Ces torches vives vous indiquent le chemin en projetant une lumière tamisée sur votre route.
Elles apparaissent parfois au bout d’un tunnel après une longue traversée du désert. Un peu comme un mirage auquel vous aviez cessé de croire. Il suffit juste de s’en emparer pour que votre sort soit façonné à l’image de vos inclinaisons, et faire un pied de nez au déclin/destin qui pensait avoir le dernier mot. Dire non à l’usure, au frottement du quotidien et de la routine. Surtout lorsque vous vivez dans un pays-prison et que votre quotidien pour (sur) vivre est une bataille qui se répète à chaque lever de soleil. Afin de ne pas mourir avant l’heure, se laisser tenter par les feux follets qui vous interpellent. Ne serait-ce que l’espace d’une embellie qui viendrait vous rappeler que vous pouvez être les maîtres de ce temps.  Que dire alors du temps qui reste sans verser dans l’amertume d’une sordide comptabilité ?! Ce qui est certain, c’est que c’est dans ce sprint final que résident les élans fous libérés de toutes entraves. Le temps qui reste, ce sont les amarres rompues et une délicieuse dérive vers les plus beaux rivages : ceux sur lesquels viendront s’échouer vos attentes, mais aussi vos désillusions. Tirer de ces dernières une leçon de vie et tourner la page des pièges édulcorés qui ne sont que des coquilles vides prêtes à vous vampiriser. À leur contact, avoir les réflexes vitaux d’une tortue qui porte sa maison sur son dos. Se réfugier dans sa carapace. Se fermer comme une huître. Se fondre avec le décor pour vous " invisibiliser ", puis fuir sans regarder derrière vous parce que le bonheur, le vrai, vous attend assurément à une prochaine étape. Celle d’une rencontre avec un être, une âme, que vous reconnaitrez instantanément comme étant votre part manquante.
Parce que le temps vous presse à être heureux. Pour un jour, une nuit ou un reste de vie, peu importe. Comme un feu d’artifice flamboyant, vous consumer de concert avec l’univers pour un moment qui portera un goût d’éternité. Et puis le temps, vous en ferez votre affaire… vous vous amuserez à le rendre à la fois élastique et bref, ludique et grave, précieux et futile. De temps en temps. Tout le temps.
Puisqu’avec le temps, tout s’en va…