C’est ce mot. On en fut fiers, comme s’il nous avait permis, lui, de traverser les guerres. Lui, un mot, résilience, et non l’absence de choix. Et non l’absurdité de la vie, sa grâce plus tenace que toutes mains de violence. La résistance de la vie. Résilience. Ce mot serait combat, dépassement; et non hasard de naissance dans une région de démence, de conflits. Résilience. Ce mot qui nous colle à l’âme, qu’on nous accroche au front, comme prix de consolation, de distinction.

Ce mot ne dit rien de la souffrance brute ni des larmes fières. Il ne parle pas de sang victime, de luttes ordinaires en des temps de désastre. Il ignore les cris enterrés, les sourires arrachés au drame. Il ne s’attarde pas sur nos récits, nos existences retenues aux limites de l’oubli immédiat. Paroles assourdies comme murmures pour soi.

Résilience. Je n’ai jamais aimé ce mot qui me déroutait d’orgueil. Injonction massive, étouffant toutes autres valeurs. Se relever, debout étourdis. Se dépasser sans espace pour le vacillement. Persévérer, s’acharner. Sans possible pardon car comment pardonner emmurés de dénis? Résilience. Je n’aime pas ce mot trop scientifique, trop détaché. Abstrait comme concept de laboratoire, mais la vie?

Ce mot glisse sur nos peaux. Il nous est servi comme pour clore de suite toute révolte active. Résilients, on s’empêche pour épargner le monde de nos colères sauvages, souffle agrippé à la survie. Cruelle résignation de nos corps de rage. Ce mot ne s’intéresse pas à la désolation, à l’étrange familiarité de la mort. À peine s’autorise-t-on à souffrir. Résilience serait cette interdiction-là. Tu seras fort mon enfant, tu ne vivras pas ta douleur, tu la dépasseras aussitôt perçue. Toute puissance de la résilience. Comme une tape dans le dos, entre encouragement et douce violence.

Mais surtout, ce mot ne parle pas de nos gaités généreuses, ces gestes de partages immédiats. De l’agilité, la débrouillardise joyeuse. Comment pourrait-il dire l’indicible des liens, de la solidarité singulière? Notre irrationnelle audace à croire toujours aux horizons, comme corps pris d’ivresse vitale. Ne déteste rien, c’est peut-être pour ton bien. Sagesse de nos mères. J’ai été élevée – hissée aussi – avec cette conviction, débusquer les débris de lumière dans toute boue. Enchanter le quotidien. Plutôt que résiliente, je m’accroche à cette ténacité-là. Aux doigts fourrageant le réel, pour ce "peut-être" du "bien".

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