"Le futur appartient à ceux qui se lèvent tôt", dit-on communément. Ces mots seraient ceux d’Henry Gauthier-Villars (alias Willy qui fut le mari de la romancière Colette), repris par Jules Renard. Ils font référence au fait que, l’électricité n’étant pas encore répandue à cette époque, ceux qui se levaient avec le soleil avaient un avantage sur les autres. Toute une littérature, à la vérité, fleurit sur la question de savoir à qui appartient le futur: "Le futur appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves", nous dit Eleanor Roosevelt, épouse du 32e président des États-Unis. Ou encore "le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire", et celle-ci est de Nietzsche. Jusqu’au plus commun, et en même temps le plus extraordinaire "le futur appartient à Dieu" avec toutes ses variantes "le futur nous appartient", "le futur leur appartient", etc., pour peu que nous vienne l’envie de nous substituer à Dieu. L’économiste américain Théodore Levitt le dit à sa manière: "Le futur appartient à ceux qui voient les possibilités avant qu’elles ne deviennent évidentes" (Théodore Levitt). Et, certainement, ceux qui se lèvent avant les autres ont, sur ce point, un avantage. En définitive, Bun Hay Mean a bien raison: "Le futur appartient à ceux qui le fabriquent."

Comment fabriquer le futur? Comment y croire? Nous ne sommes plus capables d’imaginer d’autres voies possibles à nos systèmes économiques ou politiques ou au fonctionnement de nos sociétés: les modèles se sont épuisés. De fait, alors que le passé ne semble plus rien nous apprendre sur le monde d’aujourd’hui, tant celui-ci est inédit, il est également devenu difficile de se projeter dans un monde devenu si incertain, et donc d’imaginer d’autres futurs que celui, angoissant, qui s’impose à nous. Nous ne savons plus où nous allons. C’est ce qui fait que les dystopies aujourd’hui prennent beaucoup de place. Elles sont le symptôme de notre difficulté à envisager un avenir collectif. Inventer l’avenir, dans ce contexte, est d’une difficulté inouïe.

Face aux catastrophes sanitaires, économiques, financières, sociales ou encore environnementales qui définissent désormais notre présent, la seule façon de s’en sortir, pourtant, est de s’extraire de celui-ci pour se projeter dans un avenir souhaitable. C’est ce qui relève, dirons-nous, de la santé mentale.

Comment faire, pourtant, pour se projeter dans un monde si incertain? En essayant d’imaginer de nouveaux récits capables d’inspirer et de nous faire passer à l’action pour changer le cours des choses. Ainsi, l’idée de l’avenir serait "plus féconde que l’avenir lui-même". Celle-ci est de Bergson. Il faut donc croire aux vertus de l’utopie, non comme le rêve d’un monde meilleur, mais comme une pensée du changement qui nous projette dans de nouveaux futurs désirables. Et peut-être aussi en se déchargeant de l’idée qu’on peut planifier le monde ou influer sur lui selon des plans préétablis, parce que le monde est imprévisible. Composer avec cette imprévisibilité, c’est composer avec l’avenir. C’est-à-dire composer avec ce qui "advient", à la façon d’un surgissement.

Du latin futurus, qui donne les formes verbales "il fut" et "qu’il fût", le futur puise donc ses racines dans le passé. Dans cette perspective, le futur, c’est ce qui viendra, certes, mais qui est déjà contenu dans "ce qui fut". Autrement dit, c’est ce qui est susceptible de prévision. L’avenir, par contre, c’est ce qui arrive de manière inattendue. Composer avec l’avenir, c’est aussi l’accueillir, dans son imprévisibilité, et donc aussi dans sa capacité à nous surprendre.

"Le futur appartient à ceux qui veulent l’imaginer, lit-on en calligraphie arabe à la surface du Musée du futur à Dubaï. Il n’est pas à attendre mais à créer." Cette version politique de notre aspiration à nous projeter dans l’histoire peut bien paraître utopiste, elle n’est rien moins qu’une invitation à faire partie de l’écriture du monde.