Il y a 35 ans, Pierre Michon entamait sa première fiction. Aujourd’hui, avec la publication des Deux Beune aux éditions Verdier, l’écrivain âgé de 77 ans met un point final à son premier roman, La Grande Beune.

Né le 28 mars 1945, Pierre Michon fait des études de lettres, puis rejoint une troupe de théâtre et entreprend des tournées dans toute la France. Il reçoit le prix France Culture pour sa première publication en 1984.

Adulé de la critique depuis son coup d’essai – la série de récits intitulée Vies minuscules –, Pierre Michon vit retiré dans un hameau de sa Creuse natale au centre de la France. Il vient tout juste de publier le dernier état d’un roman qui devait s’intituler initialement "L’Origine du monde", mais ce titre a finalement laissé la place à un autre, Les Deux Beune. Après la collection de biographies courtes, Vies minuscules, Les Deux Beune se voulait un roman à la forme classique.

En 1988, trois premiers chapitres en paraissent dans trois numéros de la prestigieuse Nouvelle revue française (NRF). Deux autres chapitres sont publiés en 1993 dans un numéro spécial Michon d’une revue moins connue, Théodore Balmoral. Enfin, une version remaniée arrive en librairie en décembre 1995, sous le titre La Grande Beune. Le livre de 87 pages, son inachèvement et son épilogue qui n’en est pas vraiment un font jaser les milieux littéraires.

"Lisez et puis écrivez-lui. Engueulez-le. Dites-lui que c’est une honte, que quand on tient de l’or, on ne le lâche pas comme ça", écrit un autre romancier de la même génération, Christian Bobin, qui a adoré le texte. Cet inachèvement, Pierre Michon l’assume. Dans un entretien publié en 2002 par la revue Genesis, il dit: "Une histoire qui va à son terme, bien bouclée, comme un film […] pour moi, c’est mortel…".

La Grande Beune, du nom d’une rivière fictive, faisait penser à un autre roman inachevé, Colombe Blanchet d’un Alain-Fournier fauché au début de la guerre de 14-18. Dans les deux cas, ces écrivains fils d’instituteur décrivent l’arrivée dans un village isolé d’un jeune instituteur, confronté au désir d’une aventure avec une femme pas forcément accessible. À la fin, on ignore comment tournerait l’entreprise. Dans la deuxième partie de La Grande Beune, enfin livrée au lecteur, intitulée La Petite Beune, le crescendo érotique touche au sublime.

"On savait que Pierre Michon pourrait donner une suite", explique son éditrice chez Verdier, Colette Olive. "Il a annoncé à plusieurs reprises, publiquement, qu’il y en avait une, à savoir une fin à ce roman." "Pierre avait cette idée de reprendre un jour ses carnets. Ça fait longtemps qu’il y pense. Mais comme chacun le sait, ce n’est pas quelqu’un qui écrit à la commande", ajoute-t-elle. Son dernier roman remontait en effet à 2009, avec Les Onze, autre livre court de 137 pages, que son auteur a mis 17 ans à écrire.

La critique pourra s’interroger sur la continuité du style entre les deux parties des Deux Beune, écrites à plusieurs décennies d’écart. Mais la tension dans la deuxième dépasse tout ce qui avait plu dans la première. Le romancier "y a beaucoup travaillé les deux étés derniers, et on était impatient de recevoir le manuscrit", raconte l’éditrice. "On retrouve sa langue. Elle n’a pas changé. On a dévoré ce texte avec énormément de bonheur, et le plaisir de découvrir combien ces deux parties se complétaient idéalement."

Marie-Christine Tayah avec AFP
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