Deux décennies après le triomphe de Être et Avoir, le cinéaste Nicolas Philibert nous convie à bord de Sur l’Adamant, en salles dès mercredi, auprès des patients d’un établissement psychiatrique atypique, qui privilégie une approche singulière et bienveillante pour dispenser ses soins.

Tu as l’détonateur, juste à côté du cœur " : dès la scène d’ouverture, une interprétation a capella poignante de La Bombe Humaine de Téléphone par un patient. Ainsi, la vulnérabilité et la profondeur des âmes tourmentées capturées par Philibert sont immédiatement dévoilées.
Sur l’Adamant, récipiendaire de l’Ours d’Or à Berlin, se déroule entièrement sur une péniche du même nom, amarrée sur la Seine à Paris. C’est un lieu où patients, soignants et personnel se côtoient sans distinction, et où " tout est prétexte à aider les patients à renouer avec le monde ", confie le réalisateur septuagénaire.

Dans ce microcosme, on observe des patients participant à des ateliers thérapeutiques ou artistiques et oubliant temporairement leur condition de malades pour construire une vie collective, en s’impliquant par exemple dans la gestion du budget. " C’est un lieu qui tente, envers et contre tout, de perpétuer une psychiatrie humaine. Une approche où les patients sont considérés comme des individus singuliers et où l’on cherche à aider chacun à trouver sa propre voie pour s’insérer dans la vie et la société ", poursuit Philibert.

Le réalisateur tient toutefois à souligner que l’Adamant n’est pas représentatif de la psychiatrie en général. Il déplore " la dégradation " des conditions de soins dans leur ensemble : " manque d’argent, manque de lits et surtout manque de moyens humains ". Le film offre un regard alternatif sur la maladie mentale, loin des clichés associés aux faits divers et à la violence. Les patients de l’Adamant, touchants, déchirants et parfois drôles, sont inoubliables. Parmi eux, Frédéric, un dandy érudit qui se voit comme la réincarnation du frère de Van Gogh, ou une patiente convaincue qu’elle guérira de sa folie.

" On n’est pas fou 24 heures sur 24. Vous avez des gens extrêmement lucides par moments, puis qui vont moins bien quelques jours plus tard, restant enfermés chez eux. Un peu comme nous tous ", souligne Nicolas Philibert.

Le réalisateur, surtout connu pour Être et Avoir (1,8 million d’entrées en 2002), poursuit son exploration documentaire avec ce film, après s’être intéressé à une première clinique psychiatrique (La Moindre des choses, 1996), à la création radiophonique (La Maison de la radio, 2013) ou à la ménagerie du Jardin des Plantes (Nénette, 2010). " Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les utopies, mais les foyers de résistance ", explique le cinéaste qui travaille sans voix off et de manière instinctive. " Le documentaire est une autre façon de faire de la fiction, car dès qu’on place une caméra, on interprète et on raconte. "

À Berlin, l’Ours d’Or a été décerné à Philibert par l’actrice Kristen Stewart, qui a rendu hommage au film comme une " démonstration cinématographique de l’importance cruciale de l’expression humaine, réalisée avec une virtuosité magistrale. "
Ce prix prestigieux, survenant six mois après l’attribution du Lion d’Or à la réalisatrice documentariste Laura Poitras lors du Festival de Venise, constitue également " une reconnaissance d’un genre cinématographique légèrement plus vulnérable " que la fiction, selon l’analyse de Philibert. Le réalisateur a, en réalité, reçu deux " Ours " : l’un en or, décerné à Berlin, et l’autre en peluche, offert en guise de gratitude par l’un des patients de l’Adamant après avoir visionné le film.

Avec AFP