L’envoûtante œuvre de Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, a été transposée avec grâce par le réalisateur Denis Imbert au cinéma. Pour incarner le rôle principal, nul autre que le talentueux Jean Dujardin, qui donne vie à cette histoire avec brio. En ce moment, les salles obscures de France s’illuminent de ce récit bouleversant, invitant les spectateurs à se perdre dans ses méandres.

Un livre, déjà. De l’insaisissable Sylvain Tesson, écrivain aventurier ayant sillonné les reliefs dénudés du monde, qui raconte sa propre histoire suite à un accident qui l’a défiguré physiquement et moralement. Il emprunte ces fameux chemins noirs (sentiers de traverse à l’écart des circuits balisés de la France rurale) comme un chemin de croix et de résurrection. Ce magnifique témoignage a bouleversé le réalisateur Denis Imbert et l’acteur Jean Dujardin, une lecture parallèle due au hasard qui crée un désir urgent commun d’incarner et de retranscrire.

Et le film, donc, lumineux.

Des vues étendues sur cette France méconnue accompagnées de la musique rythmée des mots prononcés par Jean Dujardin. Une voix intérieure qui se parle et nous parle, un écho qui se répercute comme des tamtams lointains. Un voyage, non seulement sur les crêtes et les vallons de cette magnifique France qui se redécouvre, mais aussi dans les méandres les plus complexes qui se terrent en nous.

Des pas, de la sueur, de la douleur. Tout le jeu de l’acteur passe par cette souffrance sourde et brute. Il faut savoir se dépouiller totalement et émotionnellement pour exprimer ce silence. Un regard, une démarche, la juste dose, l’essentiel toujours. Marcher sur ces montagnes et faire passer chaque respiration est un travail de funambule, sans aucun pas de côté. Une ivresse habitée, même. Créer la peur du vacillement, insuffler cette fragilité, est le don offert uniquement à celui qui sait donner sans calcul, jusqu’à l’abandon absolu. Et nous assistons, épris, à un miracle en cours.

Au fil des flashbacks et des avancées pédestres, nous cernons l’écrivain d’avant l’accident. Reconnu et adulé, dans une perpétuelle et infatigable fuite en avant pour pallier un manque, passant de signature en lecture, de cocktail en cocktail, vivant jusqu’à l’excès pour se sentir vivre, voulant taquiner le destin en pensant habiter le sien. Et c’est le basculement, la chute.

De ce corps fracassé, un réveil intérieur s’est mis en place. Les morceaux reprennent sans doute leur vraie place. Les cicatrices dans la chair n’empêchent pas la vraie lumière de passer. Au contraire, elles filtrent. Apaisent. Reconstruisent.

Pierre, de son prénom, fera corps avec les rochers qui l’entourent, qu’il foule, qu’il enlace et avec lesquels il ne fait plus qu’un.

Chemin faisant, des rencontres. Chacune est intense. Pure. Claire. Et rajoutera pierre à sa pierre. Avancer dans le chemin. Réciproquement. Humainement.

L’inconnu, le moine, la sœur, l’ami frère, la tante.

Et de comprendre le vide initial laissé par le départ de cette mère fantasque tant aimée, cette mère à laquelle il s’identifie dans cette recherche d’absolu.

Cette mère ou cette terre, elles ne font plus qu’une. Et Pierre de se régénérer de cette terre comme un fœtus dans le ventre de sa mère. Des chemins noirs comme un cordon ombilical.

Et nous, spectateurs, assistons éblouis à une quête spirituelle autant qu’à une résurrection. Sans esbroufe hollywoodienne à la Cecil B. DeMille, sans effets spéciaux. Mais totalement subjugués par la beauté de la filmographie, des paysages, du rythme, de la musicalité intérieure, des silences et des paroles, du jeu – tant le mot est inadéquat – car le jeu de l’acteur disparaît pour laisser place à une osmose totale de tous les sens.

Et le final, l’aboutissement de ce long chemin, face au Mont Saint-Michel triomphant, la délivrance comme le cri du nouveau-né jaillissant, avec un Jean Dujardin/Pierre renaissant, vivant, suprêmement vivant, face à cette mer/mère enfin, dans un face-à-face intime et géant. Terriblement bouleversant.