Lors d’une réunion professionnelle récente, j’ai eu l’occasion de partager une partie de moi qui était jusqu’alors restée en dehors de mon environnement de travail: ma passion pour la mode, que j’exprime par le biais d’un blog mode sur les réseaux sociaux. L’annonce a été reçue avec une certaine perplexité. Les sourires polis dissimulaient mal une question tacite: l’amour de la mode n’est-il pas synonyme de superficialité?

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C’est une expérience que j’ai vécue à plusieurs reprises, un préjugé profondément ancré qui semble assimiler la mode à une forme de légèreté, voire d’insignifiance. Il y a une idée répandue selon laquelle être passionné de mode, c’est être obsédé par l’apparence, avec une vision qui ignore la profondeur et la complexité de cet art. Pourtant, rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. La mode, dans son essence, est une forme d’expression personnelle et artistique. Choisir une tenue n’est pas un acte futile ou anodin, c’est un geste chargé de signification et de réflexion. En sélectionnant une pièce, en assemblant une tenue, nous racontons une histoire, nous faisons des déclarations sur nous-mêmes, sur notre humeur, notre personnalité, notre vision du monde.

L’impact et la puissance de la mode dans notre vie quotidienne ne sont pas à sous-estimer. La mode a la capacité unique de refléter les changements socioculturels, d’être à la fois produit et critique de l’époque dans laquelle nous vivons. Elle est un langage visuel que nous utilisons tous, consciemment ou non, pour communiquer avec le monde qui nous entoure. Malgré cela, la représentation médiatique a souvent renforcé l’idée de la superficialité de la mode. Les passionnés de mode sont souvent présentés comme des individus superficiels, obnubilés par leur apparence, contribuant ainsi à une vision réductrice et simpliste de ce qui est, en réalité, une industrie riche et complexe. Prenons le film "Le Diable s’habille en Prada" comme exemple de cette représentation médiatique simplifiée. Le film oppose Andrea Sachs, interprétée par Anne Hathaway, jeune journaliste sérieuse et déterminée, à Miranda Priestly, interprétée par Meryl Streep, redoutable rédactrice en chef d’un prestigieux magazine de mode. D’un côté, nous avons Andrea, initialement présentée comme une outsider dans le monde de la mode, insensible à son glamour et à sa frivolité apparente. De l’autre côté, il y a Miranda, dépeinte comme étant obsédée par la mode à un point qui frôle la futilité. Cependant, cette dichotomie simplifie à outrance la complexité de l’industrie de la mode. Miranda, malgré son apparence froide et son obsession apparente par la mode, est en fait une figure de pouvoir et d’influence. Sa passion pour la mode n’est pas un signe de superficialité, mais plutôt une preuve de son engagement envers son métier et de sa compréhension des nuances de l’industrie. Inversement, le parcours d’Andrea dans le film illustre comment la mode peut être une forme d’art profondément influente et transformative. Alors qu’au début du film, elle dénigre la mode comme étant superficielle, elle finit par comprendre son importance et son impact. Cette évolution met en évidence l’idée que la mode n’est pas simplement une question d’apparence, mais qu’elle a une importance culturelle et sociale.

En outre, il semble y avoir dans notre société une hiérarchie implicite des arts. La peinture, par exemple, est généralement élevée au rang de "grand art", valorisée pour sa complexité et sa profondeur. Elle est admirée pour sa capacité à transmettre des émotions puissantes et à refléter les sentiments les plus intimes de l’artiste. De grands peintres comme Pablo Picasso sont célébrés pour leur capacité à révolutionner leur domaine et à offrir une nouvelle vision du monde à travers leurs œuvres. En revanche, la mode est souvent reléguée à une position inférieure, perçue comme une forme d’art moins sérieuse ou moins significative. Cependant, si nous regardons de plus près, des créateurs de mode comme Coco Chanel ou Yves Saint-Laurent ont eu un impact tout aussi profond sur leur domaine que Picasso sur le sien. Ces créateurs de mode ont non seulement introduit de nouveaux styles, ils ont aussi remodelé la manière dont nous pensons l’habillement et l’identité. Ils ont repoussé les limites de la créativité, tout comme Picasso a bouleversé les conventions de la peinture. Pourtant, Picasso est perçu comme un génie, un révolutionnaire, alors que Chanel ou Saint-Laurent, bien que respectés dans leur domaine, ne sont généralement pas élevés au même rang dans la conscience collective. Pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi valorise-t-on davantage la peinture que la mode, malgré l’impact indéniable de ces créateurs et l’importance de leur travail? Ces questions soulignent une forme de biais culturel qui mérite d’être examiné plus en profondeur.

Il est temps de repenser notre perception de la mode et de lui accorder la reconnaissance qu’elle mérite en tant que forme d’art. Aimer la mode ne signifie pas être superficiel. C’est une déclaration audacieuse de l’individualité, une célébration de la créativité et une affirmation de l’identité. La prochaine fois que nous rencontrons un passionné de mode, au lieu de succomber à des jugements hâtifs, prenons un moment pour reconnaître l’artiste qui se cache derrière le choix des tenues, l’innovateur qui s’efforce d’exprimer sa vision du monde à travers la mode.

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