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La rengaine est bien connue : le christianisme est une religion obscurantiste qui a toujours retardé le progrès scientifique. D’ailleurs, l’historien et co-fondateur de l’université Cornell (New York), Andrew Dickson White, en a fait sa thèse dans un livre connu[1]. Néanmoins, c’est une idée reçue qui se trouve aux antipodes de la réalité, et très peu d’érudits (s’il y en a) prennent la thèse de White au sérieux aujourd’hui (par exemple, il affirme que l’Église catholique croyait en une terre plate alors qu’il n’y a aucune preuve pour corroborer cette proposition). Il s’agit ici de démanteler pièce par pièce cette image d’Épinal.

La Bible, le catéchisme et la connaissance

Le christianisme étant un ensemble hétérogène, nous nous focaliserons sur la doctrine catholique puisqu’elle a le plus d’adhérents parmi les chrétiens, sans pour autant nier les contributions des orthodoxes, protestants, ou musulmans[1].  Commençons par un verset de la Bible fréquemment cité durant le Moyen-Âge, Sagesse de Salomon 11:20. Dieu aurait " tout réglé avec mesure, nombre et poids ". Cela met en exergue l’ordre assuré par les mathématiques dans l’Univers.

Cela dit, comment la connaissance peut-elle être acquise ? Dans la pensée catholique, la vérité peut être connue en observant la réalité et en raisonnant. Donc la raison et la foi ne se contredisent pas. Et ce n’est pas surprenant si Francis Bacon, père de la méthode scientifique qu’on utilise jusqu’aujourd’hui, fut un chrétien (bien que Robert Grosseteste, un prêtre catholique, ait exprimé les mêmes idées que Bacon bien avant ce dernier). Même de nos jours, les scientifiques suivent cette démarche, d’abord en observant la réalité, ensuite en formulant des hypothèses, pour enfin mener des expériences scientifiques et éliminer les mauvaises hypothèses.

Les premiers économistes

Adam Smith, l’auteur de La richesse des nations (1776), est souvent présenté comme étant le père de la science économique. Pourtant, Joseph Schumpeter, l’un des plus grands économistes du XXe siècle (ou même de tous les temps) avait déclaré dans son immense Histoire de l’analyse économique (1954) qu’Adam Smith n’a rien dit d’original, et que toutes ses idées ont été découvertes d’abord par les scholastiques espagnols catholiques de l’École de Salamanque (les vrais fondateurs de la science économique, d’après Schumpeter) durant la Renaissance.

En effet, les penseurs de l’École de Salamanque se sont intéressés à de nombreuses questions économiques, notamment sur la notion de propriété privée, de valeur, et de " juste prix ". Pour eux, la propriété privée est un droit naturel, ainsi que la clef de voûte du développement économique et de la prospérité. La valeur est subjective et dépend des préférences individuelles (cela semble évident, mais Adam Smith, et Karl Marx après lui, n’ont pas compris cette idée pourtant simple), et le " juste prix " serait tout prix sur lequel le vendeur et l’acheteur se mettent d’accord. On peut dire que les penseurs de l’École de Salamanque, influencés par les travaux de Saint Thomas d’Aquin, étaient des proto-libéraux, ou même " proto-autrichiens " (de l’école autrichienne d’économie).

D’ailleurs, même si on revient avant l’École de Salamanque, on tombe sur Nicole Oresme, un prêtre et grand érudit du XIVe siècle qui a écrit un traité rigoureux sur la théorie monétaire, achevé entre 1356 et 1360. Oresme condamne l’abus du pouvoir des princes qui manipulaient la composition des pièces de monnaie afin d’avoir plus de métaux précieux (jadis qualifiés de monnaie) à leur disposition, au détriment du peuple. Au lieu de fabriquer des pièces purement composées de métaux précieux comme l’or, les souverains introduisaient d’autres métaux, comme le cuivre, dans les pièces.

Hélas, les idées de ces premiers économistes tomberont dans l’oubli pendant un certain temps, mais seront reprises dans les années 1870 par Carl Menger (fondateur de l’école autrichienne), William Stanley Jevons et Léon Walras, probablement à l’insu de ces derniers.

Des titans de la science

Quid de la contribution du christianisme au développement des sciences naturelles ? L’Église a toujours financé les sciences. Pour s’en apercevoir, il suffit de jeter un coup d’œil sur les milliers d’écoles, d’universités et d’hôpitaux fondés et financés par l’Église. John Heilbron, historien de la science et professeur à l’université de Californie à Berkeley, affirme que pendant six siècles, l’Église catholique a apporté plus de soutien financier et social à l’étude de l’astronomie que toute autre institution[2]. Rien de très étonnant, après tout, Nicolas Copernic était un fidèle moine catholique. Quant à John Agnew, géographe et professeur à l’université de Californie à Los Angeles, il souligne que l’Église catholique est le plus grand fournisseur non-gouvernemental d’éducation et de soins dans le monde entier[3].

Mais l’affaire Galilée ne prouve-t-elle pas que l’Église est une institution arriérée ? Pas si l’on se rend compte que Galilée, tout comme Copernic, était pieux, quoique plus belliqueux que ce dernier, et que l’affaire Galilée était en fait une querelle personnelle entre l’astronome et le pape.

Soit dit en passant, il y a toute une légion de scientifiques chrétiens dont les travaux ont toujours de l’envergure. Nicolas Sténon, père de la géologie et précurseur de la théorie de l’évolution, était un prêtre catholique. Idem pour Gregor Mendel, (père de la génétique moderne), Roger Joseph Boscovich (père de la théorie atomique moderne) ou Georges Lemaître (connu pour avoir découvert le Big Bang). Dimitri Mendeleïev, un prêtre orthodoxe, a révolutionné la chimie. Parmi d’autres génies chrétiens figurent Johannes Kepler, René Descartes, Blaise Pascal, Gottfried Wilhelm Leibniz, Leonhard Euler, Louis Pasteur, Bernhard Riemann, Lord Kelvin ou Francis Collins, entre autres. Environ 65% des lauréats du prix Nobel sont soit chrétiens, soit d’origine chrétienne.

La science du droit

Bien avant le général Clausewitz, les penseurs chrétiens ont dédié des réflexions à la moralité de la guerre. Saint Augustin, pacifiste lucide, a été le premier à identifier les critères qui rendent une guerre " juste ", formant une théorie cohérente de la guerre, voire toute une école de pensée[4]. Pour Augustin, comme pour tout autre penseur chrétien cohérent, la paix est nécessairement bonne (car " ceux qui prendront le glaive périront par le glaive ", d’après Mathieu 26:45). Les hommes ne devraient pas immédiatement recourir à la violence pour résoudre leurs conflits. Hélas, parfois la guerre, malgré ses horreurs, est une exigence permettant de conserver la paix. Cependant, s’il voyait les croisades lancées par le Hezbollah, Augustin se retournerait dans sa tombe, puisque Hassan Nasrallah insiste à imposer ses idées exécrables par la force au Liban, en Syrie, en Israël, ou même en Argentine[5].

Les penseurs chrétiens ont transformé le droit en une véritable discipline scientifique. Hugo Grotius, un juriste et diplomate protestant du XVIe siècle, a établi les bases du droit international[6]. Pour Grotius, tout comme Thomas d’Aquin avant et Samuel von Pufendorf après lui, il existe des vérités politiques universelles et objectives, à l’aune desquelles tous les États et intérêts devraient être jugés en bien ou en mal.

Somme toute, l’antagonisme entre le christianisme et la science est illusoire, voire mensonger. Malheureusement, un article ne suffira pas pour nettoyer les écuries d’Augias et balayer les idées reçues. " Comme le chien revient à son vomissement, le sot retourne à sa folie " (Proverbes 26:11).

[1] Histoire de la lutte entre la science et la théologie (1899)

[1] Notons que le Canon de la médecine (1025) d’Avicenne a été très influent en Occident


[3] The Sun in the Church (1999)

[4] Deus Vult : The Geopolitics of the Catholic Church (2010)

[5] La cité de Dieu (Vème siècle)

[6] Allusion au bombardement de l’AMIA en 1994 à Buenos Aires. L’attentat a visé la communauté juive de l’Argentine et a fait 85 morts et près de 300 blessés. La responsabilité de l’attentat a été revendiquée par les Ansar Allah, qui sont proches du Hezbollah.

[7] De iure belli ac pacis (1625)

 

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