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La dernière émission d’Alain Finkielkraut, "Répliques", avait pour thème l’amour. Je trouve souvent de l’intérêt à cette émission qui donne une place affirmée au débat.

Deux femmes confrontaient "leur" version de l’amour. La première, plutôt véhémente, auteur d’un blog intitulé "Les couilles sur la table" en tenait pour la statistique et les données sociologiques. Elle voyait dans la lutte contre les meurtres des femmes par leur conjoint ou leur amant le principe même de toute lutte visant à la disparition de la violence entre les sexes ou plutôt de la violence des hommes envers les femmes. La seconde et, sans surprise avec le soutien d’Alain Finkielkraut, se référait plutôt à la littérature et aux mille et un détours que le sentiment amoureux peut prendre au cours de la vie.

Un psychanalyste, s’il ne peut négliger la dimension sociologique et participer en tant que citoyen à une évolution positive des inégalités existantes, est certainement conduit à porter davantage son attention sur ce que la littérature, autant que les expériences vécues par ses patients, peuvent lui apporter et, en ce domaine, les surprises ne manquent pas. Le constat est cependant sans appel: la violence est une affaire également partagée entre les hommes et les femmes, même si la violence physique est de fait l’affaire des hommes. Et Freud ne s’y trompe pas qui voit cette violence au cœur même de l’être humain.

J’en serai resté là si, au décours de cet affrontement, il n’avait été question des contes de fées et en particulier de celui de La Belle au bois dormant dont j’appris que certaines parmi les "néoféministes" considéraient le réveil comme un viol et le fait de raconter cette histoire aux enfants une forme de modélisation des relations sexuelles entre les hommes et les femmes.

Dans un premier temps, cette interprétation m’a interpellé et je me suis replongé dans le livre que Bruno Bettelheim a consacré aux contes de fées. Il traite évidemment de beaucoup de contes et ne néglige pas celui de La Belle au bois dormant. Il y voit une illustration du temps de latence nécessaire à la maturation affective de l’adolescent – garçon et fille, ce que Dolto appelle la période de la mue du Homard – et répond par avance à la critique que je venais d’entendre, même s’il ne néglige pas les différentes versions de l’histoire dans lesquelles initialement c’est bien non d’un baiser, mais à la suite d’un rapport sexuel non consenti, voire ayant pour conséquence la naissance de jumeaux, que s’éveille la belle.

Il écrit ainsi: "Dans les contes de fées, les personnages des deux sexes apparaissent dans les mêmes rôles; dans La Belle au bois dormant, c’est le prince qui observe la belle endormie, mais dans Cupidon et Psyché et dans les nombreux contes qui en dérivent, c’est Psyché qui surprend Cupidon dans son sommeil et qui, comme le prince, s’émerveille de cette beauté qui lui appartient."

Pour ma part, ce qui me frappe plutôt, c’est la dimension passive qui est ici attribuée à la belle. Elle n’a aucun désir et à l’instar de la Vierge (Bettelheim souligne l’influence de la religion catholique sur les contes), n’éprouve aucun plaisir lors de la relation sexuelle (elle ne pèche donc pas). Cette dimension de la femme comme n’ayant aucun désir sexuel et aucun plaisir sexuel a profondément marqué les esprits, cela ne fait aucun doute. Elle ne fait que subir le désir de l’homme l’acceptant comme une fatalité pour le seul but de garder le mari qui sinon irait voir ailleurs et donc pècherait et aussi, bien entendu, de faire d’elle une mère.

C’est bien, me semble-t-il, cette conception qui est au cœur du conte et il me semble qu’aujourd’hui cette non-passivité, cette affirmation d’un désir sexuel actif, du plaisir recherché lors de la relation sexuelle est la véritable révolution pour les hommes comme pour les femmes. Sans doute alors peut-on penser que c’est cet aspect des choses qui peut être présent comme un sous-texte du conte et non celui d’une illustration de ce qui est aujourd’hui une caricature du comportement supposé des hommes envers les femmes, boucs émissaires faciles des transformations en cours dans les sociétés occidentales.