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Salma Kojok, l’écrivaine et la présidente du Choix Goncourt de l’Orient, dont les ouvrages littéraires récompensés explorent les identités multiples, la discrimination et la violence, nous plonge au sein des activités du mois de la Francophonie au Liban. Elle fait part à Ici Beyrouth de l’organisation et du déroulement des différents ateliers d’écriture de l’AUF qu’elle a animés et annonce le webinaire prévu pour le 20 mars avec le prix Goncourt 2023, Jean-Baptiste Andréa.

Vous avez animé des ateliers d’écriture un peu partout au Liban, à Tripoli, à Zahlé… Comment se sont faites les différentes étapes de l’initiation à l’écriture au sein de ces ateliers?

Les étudiants ont écrit des textes très sensibles autour des thématiques qui les concernent, comme les épreuves qui secouent notre monde, mais aussi la complexité des relations humaines et le besoin de poésie. C’est ce chemin de l’écriture que les étudiants ont emprunté pour relier les fils rompus de notre monde. Les participants y ont construit leurs textes par étapes, au fil des propositions d’écriture. Chaque texte est lu à haute voix et on y discute aussi bien des mots choisis, du rythme des phrases, du rôle de la ponctuation, de l’incarnation des personnages que de la construction du récit. Quelquefois, l’étudiant est encouragé à réécrire son texte en le recomposant, commençant par exemple par une phrase qu’il avait prévue pour la fin. Grâce à cet accompagnement, les étudiants saisissent mieux les possibilités d’un texte et ses formes narratives multiples. Avec les différents morceaux de textes écrits au cours d’un atelier, l’étudiant compose ensuite son texte final, comme on construit un puzzle.

Est-ce que les activités relatives au Choix Goncourt de l’Orient cette année ont eu moins d’envergure que l’année précédente, compte tenu de la situation au Liban-Sud et de la guerre à Gaza?

Dans les universités qui participent au Choix Goncourt de l’Orient, la lecture est vécue à la fois dans sa dimension solitaire (chaque étudiant se retrouve dans l’intimité avec les romans) et sa dimension collective (avec des débats au sein des équipes autour de chaque roman lu). La situation actuelle à Gaza et au Liban-Sud était présente dans les esprits tout au long de ce projet. Nous avons eu la chance d’avoir la participation d’un étudiant palestinien de l’université An-Najah de Naplouse, qui a d’ailleurs tenu, durant la cérémonie de proclamation du Choix de l’Orient à Beyrouth, des paroles très émouvantes sur les destructions des universités de Palestine et le massacre des étudiants et des enseignants.

Quel est le critère le plus important qui détermine le vote des étudiants pour le futur lauréat? Est-ce que les jeunes jurés orientaux, qui représentent 11 pays, ont de grandes affinités littéraires ou sont réellement très différents?

Le premier critère des étudiants semble être affectif. Ils lisent avec leur cœur, avec leur sensibilité. Quand ils aiment un livre, c’est comme un véritable coup de foudre qu’ils vivent. Pour eux, un livre est un jeu qui se joue véritablement à deux, entre le lecteur et l’auteur. La manière dont ils défendent les livres aimés révèle leur attachement aux thèmes, mais aussi à l’écriture, à la musique du roman. Ils choisissent souvent un roman auquel ils peuvent s’identifier.

Si Triste Tigre de Neige Sinno a été choisi, c’est en grande partie parce que ce livre a mis en mots la colère que les jeunes ressentent face aux violences familiales et sociales. Ce choix a été motivé aussi par leur volonté d’essayer de comprendre le mal dans la société, comme le fait admirablement ce livre en mobilisant la littérature, mais aussi les sciences sociales, la psychologie, ou encore le cinéma.

Vous animez un webinaire littéraire en ligne ce 20 mars à 15h00, avec le prix Goncourt 2023, Jean-Baptiste Andréa, pour son quatrième roman Veiller sur elle, sorti chez L’Iconoclaste. Est-ce ouvert au public?

Veiller sur elle est un roman sur la frontière, ou plus précisément sur la possibilité de traverser les frontières. C’est un roman d’une grande fraîcheur dans ce monde qui ne cesse de poser des limites aux déplacements et aux rêves. Je pense que c’est aussi ce que les étudiants ont apprécié dans ce livre.

J’ouvrirai les échanges avec Jean-Baptiste Andréa sur le roman et les étudiants pourront aussi donner leurs impressions de lectures et poser des questions à l’auteur. La rencontre est ouverte au public, mais ce sont essentiellement les étudiants ayant participé au Choix Goncourt de l’Orient qui l’animeront. Ces échanges viennent couronner tout un semestre de travail autour des romans de la sélection Goncourt. C’est une belle occasion de converser directement avec un écrivain contemporain et de saisir l’énergie qui traverse la littérature aujourd’hui.

Que peut apporter un atelier d’écriture à l’écrivain qui l’anime?

L’atelier est bien sûr aussi l’occasion de partager avec les étudiants sa passion pour la littérature et l’écriture; partager ce plaisir particulier du texte, porté par la musique des phrases, leur scansion, le souffle qu’elles transportent, les silences qui les traversent et la folle énergie qui peut circuler en elles. La littérature est aussi un formidable dispositif de pensée. Ce que la littérature offre, c’est une possibilité d’explorer la complexité du monde et de l’âme humaine grâce au travail de la langue. Dans notre monde qui court, l’espace silencieux de l’écriture et de la lecture est essentiel pour atteindre des lieux de la pensée difficilement accessibles autrement.