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Pour commémorer l’anniversaire d’Émile Zola, Ici Beyrouth s’est rendu à la Maison Zola, à Médan, pour rencontrer Martine Le Blond-Zola, arrière-petite-fille du célèbre écrivain français. L’occasion de revisiter certains moments forts de la vie de celui qui incarnait la passion pour la vérité.

Vérité, vérité, quand tu nous tiens. Recherchée, célébrée, espérée, elle imprègne le quotidien de sa prestance. Et pourtant, elle se trouve souvent galvaudée, âprement contestée, déformée, voire méprisée par ceux-là mêmes qui prétendent la défendre, dans une société consumée par l’effervescence de l’éphémère. Hélas. Depuis les premiers balbutiements de la civilisation, les esprits éclairés, penseurs soient-ils ou philosophes, écrivains ou poètes, compositeurs ou artistes, ont tous cherché à élever la conscience collective vers une compréhension plus profonde et plus juste, oserait-on dire, de la réalité. Au fils des années, de nombreux intellectuels ont brandi la plume comme une épée contre l’obscurantisme et l’injustice. Par exemple, les philosophes des Lumières, notamment Voltaire, connu pour ses critiques incisives, se sont opposés au fanatisme religieux et aux injustices sociales de leur époque, dénonçant les abus de pouvoir et plaidant en faveur de la liberté de pensée.

D’autres grands noms, comme Stendhal, Victor Hugo, Fiodor Dostoïevski, Léon Tolstoï et Albert Camus, ont également scruté la condition humaine dans leurs écrits, pointant du doigt les distorsions sociales, les injustices politiques et les conflits moraux, et prônant le progrès et la justice. Leur œuvre témoigne ainsi de leur engagement envers "la vérité, l’âpre vérité", pour reprendre l’expression de l’auteur du Rouge et le Noir, sous toutes ses facettes. Mais parmi ces fervents défenseurs de la vérité, nul n’a porté le flambeau de son engagement avec autant d’ardeur que l’écrivain et intellectuel français, Émile Zola. "Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis", proclamait-il dans un cri de conscience. Ces mots percutants résonnent dans son célèbre pamphlet J’accuse…! où il dénonce, avec indignation, l’injustice criante qui gangrène la société française du XIXe siècle. "La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera", avait-il affirmé avec véhémence.

L’œuvre de Zola incarne ainsi un puissant plaidoyer en faveur de la vérité. "Pleine et entière". En mettant en lumière les aspects les plus sombres des ruines de l’humanité et en faisant sentir à ses lecteurs "l’odeur du peuple", il a défié les conventions de son époque et confronté ses contemporains à des vérités souvent dérangeantes. Par son engagement envers la vérité et la justice, qu’il considère comme étant "souveraines", l’auteur des Rougon-Macquart a non seulement enrichi la littérature de son époque, mais il a également contribué à élever le niveau de conscience sociale et à susciter le débat sur les problématiques cruciales de son temps. Toute sa démarche humaniste était nourrie par une passion unique: "celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur". À l’occasion de la commémoration de la naissance d’Émile Zola, le 2 avril, Martine Le Blond-Zola, arrière-petite-fille de l’auteur et vice-présidente de l’association Maison Zola-Musée Dreyfus, retrace pour Ici Beyrouth les moments essentiels qui ont ponctué la vie, mais également la mort de cet "honnête homme".

À travers son œuvre littéraire, Émile Zola a exploré un large éventail de la condition humaine, allant de l’ardente défense de la modernité artistique à l’intrépide lutte pour la justice, notamment, mais pas exclusivement, dans l’affaire Dreyfus, de la mise en lumière des conditions de travail éprouvantes des mineurs à la dissection des passions humaines les plus intenses. La quête des vérités, aussi diverses fussent-elles, hantait Zola, le conduisant à s’exposer aux dangers inhérents à cette démarche. Pourquoi cet inlassable désir de vérité, auquel rien ne semblait pouvoir mettre un terme?

C’était son tempérament. C’était intrinsèquement enraciné dans sa nature. Il incarnait l’humaniste animé par la volonté de dénoncer toute iniquité sociale, dans le but de sauver l’Homme de sa détresse et de soutenir les plus vulnérables, les plus démunis. Zola était convaincu qu’en exposant les réalités les plus crues, il était possible d’améliorer le sort des malheureux. Il était pleinement conscient des périls qu’il encourait, car il était indéniablement un homme de conscience. Il fut suspendu de l’ordre de la Légion d’honneur, ses amis lui tournèrent le dos, ses œuvres ne trouvaient plus preneur, une bombe fut désamorcée devant sa résidence au 21 bis, rue de Bruxelles, on lui lançait des pierres ici même, à Médan, il était la cible de caricatures. Les épreuves furent nombreuses, mais il reconnaissait que ce chemin était nécessaire pour affranchir un innocent. C’était là une forme d’Humanisme avec un H majuscule. D’ailleurs, après avoir représenté le Christ aux outrages, Henry de Groux réitéra le même schéma en illustrant Zola sortant du Palais de justice, confronté à la colère populaire : Zola aux outrages. Son engagement personnifiait simplement le sacrifice de soi. Sa célèbre déclaration "Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis" en est une illustration parfaite. Cela pourrait sembler aujourd’hui curieux, dans la mesure où les individus partageant cette même qualité se font de plus en plus rares. Sa quête de vérité, mais surtout de justice, était viscérale.

Martine Le Blond-Zola à côté d’un buste d’Émile Zola

Quels ont été les retentissements de l’affaire Dreyfus sur la société, et quelles ont été ses répercussions sur la conscience collective, notamment en ce qui concerne l’aspiration à la vérité et la lutte contre les injustices sociales et politiques?

L’affaire Dreyfus, initialement teintée d’antisémitisme, a vu Zola défendre et sauver l’honneur de la République ainsi que ses valeurs universelles telles que l’égalité, la liberté, la justice et la vérité. Il a également souligné la nécessité de vivre ensemble pour préserver ces valeurs. Ce plaidoyer a contribué à l’adoption de la loi de la laïcité en 1905, à une époque où l’Église catholique dominait et où de nombreux catholiques étaient antidreyfusards. L’affaire a favorisé une ouverture et un respect accrus envers autrui face à l’antisémitisme. L’histoire de toute société évolue, mais J’accuse…! de Zola a joué un rôle catalyseur significatif dans cette évolution vers un plus grand respect de l’autre.

Les valeurs humaines promues par Zola trouvent-elles toujours leur place dans un contexte de montée de l’extrémisme et de polarisation idéologique dans le monde contemporain?

Il reste beaucoup à faire, notamment au sein de notre musée Dreyfus, pour lutter contre toute forme de discrimination. De nos jours, certains parviennent à banaliser l’extrémisme et à considérer que certains extrêmes ne sont pas préjudiciables ou néfastes. La lutte contre ces idées demeure un défi quotidien. Les extrémistes promeuvent des idées fanatiques et, en adoptant une telle posture, ils excluent systématiquement une partie de la population. La situation devient de plus en plus dangereuse et interpelle chacun d’entre nous, car il y aura toujours des individus sujets à la discrimination. Des personnalités comme Zola représentent un témoignage de respect envers autrui et d’humanisme, à condition de ne pas sombrer dans une forme d’extrémisme.

Dans un monde marqué par une déshumanisation croissante, un hyperindividualisme exacerbé et un développement technologique effréné, quelle cause ou quelle affaire Zola, en tant qu’écrivain engagé et observateur critique, aurait-il défendue de nos jours?

Je suis d’avis qu’à notre époque, Émile Zola aurait assurément pris fait et cause pour la préservation de la nature. En considérant l’Homme comme partie intégrante de cet écosystème, Zola aurait été pleinement conscient du rôle destructeur que ce dernier a joué dans le déclin de la nature, mettant ainsi en péril sa propre existence. Zola était, avant toute chose, un écologiste fervent et un ardent défenseur de la vie sous toutes ses formes. Son engagement en faveur de la préservation de la nature se reflète dans son œuvre, où l’on trouve une profusion d’animaux et une sensibilité prononcée à leur égard. Les vitraux représentant la biodiversité dans sa demeure en sont également une manifestation tangible. Face aux défis contemporains tels que le dérèglement climatique, Zola aurait sans aucun doute mis en lumière notre responsabilité collective. Ainsi, son esprit critique et visionnaire aurait incontestablement trouvé écho dans la défense de la nature et de la vie dans son ensemble. Aujourd’hui, il est probable qu’il s’émouvrait profondément devant les enjeux actuels, peut-être même au point de remuer dans sa sépulture au sein de sa crypte.

Le bureau d’Émile Zola à Médan

À la suite de la mort de Zola en 1902, officiellement attribuée à une asphyxie accidentelle due à un feu de cheminée, certains ont remis en question cette version des faits. Des voix se sont élevées pour suggérer qu’il aurait pu être victime d’un acte criminel, notamment en raison de son engagement dans l’affaire Dreyfus et de sa dénonciation des abus de pouvoir. Zola a-t-il vraiment été assassiné?

Les conditions de la mort de Zola continuent d’être un mystère. En effet, l’absence d’une enquête officielle ou d’un procès, volontairement évités par Madame Zola, interdit toute certitude quant à la nature de sa mort. Toutefois, l’hypothèse la plus crédible, et je souligne bien qu’il s’agit d’une hypothèse, penche en faveur d’un assassinat politique plutôt que d’un incident fortuit. Néanmoins, au sein d’un État de droit tel que le nôtre, une affirmation catégorique de la nature criminelle de cet événement demeure hors de portée. En 1953, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la disparition de Zola, Jean Bedel, journaliste à Libération, a publié une série d’articles sur les circonstances entourant le décès de l’écrivain. Bedel rapporte alors qu’un homme, nommé Pierre Hacquin, a relayé des témoignages provenant d’un fumiste du nom d’Henri Buronfosse, affirmant que ce dernier aurait avoué sur son lit de mort avoir obstrué la cheminée de Zola, ce qui aurait entraîné sa mort. Cependant, ces éléments reposent uniquement sur des dépositions verbales, sans aucune preuve écrite pour les corroborer. Il est important de réitérer que, dans un État de droit et de justice comme la France, où aucune enquête formelle n’a été menée, toutes ces informations demeurent purement conjecturales. Bien qu’Alain Pagès ait entrepris une enquête approfondie sur Buronfosse, toute affirmation tranchante de l’assassinat de Zola serait en contradiction avec les propres convictions de l’écrivain, qui proclamait que "la vérité est en marche et rien ne l’arrêtera". Ainsi, la vérité concernant sa mort demeure insaisissable. Son décès demeurera enveloppé de mystère, une réalité perturbante pour de nombreux historiens et journalistes désireux d’affirmer une théorie d’assassinat. Toutefois, une telle conclusion serait une trahison envers l’histoire.