Le danseur, seul sur scène, est d’abord sur le sol, emprisonné, auréolé par la lumière. Il bouge comme le vent meut les choses, qui se disloquent ou se mélangent, et qu’on distingue à peine: le danseur bouge les mains, la tête, les jambes, qui se séparent et se confondent dans les effets comme dans le manque de lumière.

Quand il se lève, on saisit l’homme entier, aussi puissant que frêle dans sa presque nudité, aussi fort que léger. Sa peau est noire comme l’ombre, sa danse est sa lumière. Il ne porte aucun costume ni code, ne voit pas nos regards, semble oublier la scène; il est à corps perdu dans son art et sa peine. Son être devient Demande. Il appelle, suppliant, le baiser de l’amante, la sève du printemps, cette Vie qui est la sienne. L’amour souffle sur lui, le renverse, le relève. Il souffre et plie sous la violence du vent, comme il s’appuie sur elle. Il décolle, frôle le ciel; ce danseur est une nuit sous-plombée de lumière. La musique naît de lui, c’est l’écho de ses gestes et le chant de son cœur; son corps ne la suit pas, mais il la suscite.

Un triple tour surgit, plus prompt que la lumière qu’il reprend par surprise, et notre cœur s’emballe. Le danseur a encore muté dans l’intervalle, il s’est fait acte d’amour, un jour de vent d’orage. Son corps est à la fois l’homme et le Sentiment, les planches des persiennes aux longs rais de lumière, le soleil et le vent. Le tout se joue sur sa peau noire. Sa solitude est plénitude et désespoir. Son amour est absent et violemment total, sa danse en est l’aimant et tout son corps l’avale.

À bout de chutes, de don, de retenues, d’élans, reprenant pied au sol, il pose les mains sur la musique et soudain elle s’est tue.

La lumière se rallume; encore perdu inside, il sourit et salue. Le public dont le souffle jusqu’alors suspendu lui laissait tout l’espace, se lève dans une clameur qui accourt vers cet homme osant être un danseur et l’enveloppe d’amour.

Si je rends ici hommage à ce sublime moment de danse, Inside d’Alvin Ailey, sur l’envoûtante musique Wild is the Wind, c’est parce qu’il m’a parlé du cœur des hommes. Ceux que j’écoute chaque jour, dans leur fragilité et leur force, quand ils viennent se confier à moi. Si différents, dans la cure, des femmes, mes sœurs. Ces hommes de mouvement, intérieurs et ailleurs, comme le vent sauvage. Ces danseurs de la vie. Nos danseurs quand nous cherchons l’envol.
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