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Contraint d’annuler la création de Journée de noces chez les Cromagnons à Beyrouth suite à une violente polémique, Wajdi Mouawad a présenté sa pièce en première mondiale à Montpellier. Retour sur une odyssée théâtrale semée d’embûches.

C’est finalement loin du Liban, sur la scène du Printemps des Comédiens à Montpellier, qu’a eu lieu le 7, et jusqu’au 9 juin, la première mondiale de Journée de noces chez les Cromagnons, la nouvelle pièce de Wajdi Mouawad. Initialement prévue au théâtre Le Monnot de Beyrouth à partir du 30 avril, elle a dû être annulée suite à une campagne virulente accusant l’auteur et metteur en scène libano-canadien de "normalisation avec Israël".

"Aujourd’hui, première mondiale de Journées de Noces chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad à Montpellier. Cette première qui aurait dû avoir lieu au Théâtre Le Monnot début mai 2024, mais que la jalousie, la cupidité et la bêtise humaine ont empêché", déplorait sur Instagram Josyane Boulos, directrice du théâtre beyrouthin, le jour de la première française. "Ma colère est encore présente et elle est encore forte. Parce que certains préfèrent montrer une image obscure et noire du Liban au lieu de laisser rayonner notre culture."

Face à ce qu’elle qualifie de "pressions inadmissibles" et de "menaces sérieuses", Josyane Boulos a dû se résoudre dès le 10 avril à déprogrammer le spectacle. Wajdi Mouawad et son équipe ont quitté précipitamment Beyrouth le lendemain pour poursuivre les répétitions en France.

Une cabale née de "malveillance et de jalousie" selon Aïda Sabra, actrice de la pièce. Une "controverse ne reposant sur rien de vrai" mais nourrie par un "millefeuille de ressentiments entre artistes libanais", aux dires de Wajdi Mouawad. Deux faits semblent pourtant avoir cristallisé la colère de ses détracteurs.

D’une part, la programmation en 2023 au théâtre de La Colline à Paris, dirigé par Wajdi Mouawad depuis 2016, d’un spectacle du réalisateur israélien Amos Gitaï. D’autre part, des allégations infondées sur un prétendu financement par l’ambassade d’Israël à Paris de Tous des oiseaux, pièce de 2017 mettant en scène des acteurs israéliens. Wajdi Mouawad a démenti, évoquant l’achat de trois billets d’avion. Or, le mal était fait. Malgré le peu de substance de ces accusations, brandir la loi libanaise de 1955 interdisant tout contact avec Israël suffisait à jeter l’anathème.

Pourtant, c’est bien au Liban que Wajdi Mouawad rêvait de créer Journée de noces chez les Cromagnons. Écrite à 23 ans, dans la foulée de la guerre civile, cette pièce est la matrice de toute son œuvre. Pour en révéler toute l’authenticité, il l’a fait traduire en arabe libanais. Sur scène, une famille s’efforce de célébrer un mariage malgré les bombardements et les coupures d’électricité. Entre rires et larmes, disputes et réconciliations, la vie s’obstine entre les murs quand dehors la guerre fait rage.

Trente ans après avoir couché ces mots, l’exilé voulait renouer avec sa langue maternelle enfouie, faire entendre ce texte fondateur sur sa terre d’origine. Mais l’histoire bégaie et le contraint une nouvelle fois au départ.

Car au printemps, les tensions entre Israël et le Liban s’enveniment, sur fond d’escalade meurtrière à Gaza. Pris en étau, certains au Liban jugent inopportun d’accueillir une pièce d’un auteur suspecté, même à tort, de connivence avec l’ennemi. Wajdi Mouawad en paie le prix fort. Mais son œuvre poursuit son chemin.

À Montpellier, Journée de noces chez les Cromagnons a conquis le public, portée par des acteurs libanais "touchants de vérité", salue la presse. En 2024-2025, elle sera à l’affiche du théâtre de La Colline à Paris. Trente ans après l’avoir écrite dans l’urgence de l’après-guerre, Wajdi Mouawad offre à sa pièce une nouvelle jeunesse.

Si le rideau n’a pu se lever à Beyrouth, le texte continue de vivre, porté par la puissance d’un théâtre qui transcende les frontières et les conflits. Non sans amertume, Josyane Boulos constate que certains, au Liban, ont préféré une "image obscure et noire" du pays "au lieu de laisser rayonner [sa] culture". "Pas de quoi être fiers", conclut-elle. Mais qu’importe les éclipses, l’art est un soleil. Il finit toujours par briller.