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La très attendue cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Paris 2024 a tenu toutes ses promesses en termes de buzz et de polémiques. Déconcertante, époustouflante et agitatrice, cette grand-messe inaugurale hors norme n’a laissé personne de marbre. Retour sur un show XXL qui a électrisé les réseaux sociaux et les plateaux de télévision.

Vendredi soir, les yeux du monde entier étaient braqués sur la Seine, transformée pour l’occasion en la plus longue scène flottante de l’histoire olympique. Pendant près de 3 heures, les tableaux se sont enchaînés à un rythme frénétique, dans une débauche d’effets pyrotechniques, de projections holographiques et de prouesses technologiques futuristes. Le tout bercé par un florilège musical éclectique.

D’emblée, le ton était donné: non, cette cérémonie ne ressemblait à aucune autre. Adieu à la solennité compassée et aux rituels immuables. Bonjour à l’audace, à la démesure et à la radicalité assumée. Un véritable ovni visuel, à mi-chemin entre la fashion week, la techno parade berlinoise et le carnaval de Rio. En bref, un OVNI excentrique, excessif, radical et anarchisant.

Mais derrière ce grand barnum esthétisant, que cherchaient à nous dire les organisateurs? Difficile à démêler tant les messages, parfois contradictoires, se télescopaient au fil de la soirée. D’un côté, une célébration grandiloquente de l’universalisme à la française; de l’autre, des clins d’œil appuyés aux dérives communautaristes et aux obsessions identitaires du moment: drag-queens, wokisme, cancel culture…

Cette volonté de cocher toutes les cases du progressisme sociétal a suscité pas mal de grincements de dents, y compris dans le camp des "progressistes". "Trop, c’est trop", "on frôle parfois la caricature, l’auto-parodie". Florilège des séquences les plus clivantes: la réécriture toute en diversité de l’histoire nationale, incarnée par des comédiens "racisés", ou encore cette étonnante relecture queer de la Cène, prétendue référence au Festin des Dieux de Biljert, qui a ulcéré les catholiques traditionalistes?

"Une provocation anti-chrétienne", s’étrangle-t-on du côté de l’extrême droite. "Une magnifique claque aux réacs", applaudit à l’inverse la France insoumise. Clivant, on vous dit. Sans parler de la facture totalement baroque de l’ensemble, loin, très loin des envolées lyriques et figuratives de jadis. "Néoclassique", "postmoderne", "postapocalyptique"… Les qualificatifs ne manquent pas pour tenter de décrire ce grand bazar esthétique, véritable capharnaüm de styles et d’influences.

De ce melting-pot créatif émerge une image ultra-esthétisée, presque anesthésiante, du malaise français. Comme si cette débauche visuelle cherchait à sublimer les blessures et les déchirures. En mettant en scène les passions tristes (dixit Spinoza) sur des airs de pop synthétique, la cérémonie a fini par les exorciser et les transcender, donnant à voir, l’espace d’une soirée, l’illusion d’une France réconciliée avec elle-même et sa diversité.

Pendant quelques heures, cette improbable cérémonie d’ouverture aura permis de déplacer les lignes, de repousser les limites du dicible et du montrable, laissant entrevoir, à ceux qui veulent bien le voir, le champ des possibles. Après tout, c’est peut-être ça aussi, l’esprit olympique: se dépasser, voir toujours plus loin, plus haut, plus fort. Quitte à se prendre les pieds dans le tapis de temps à autre?

Et puis, avouons-le, le bouquet final avec Céline Dion a été absolument magistral. La diva québécoise, juchée au sommet de la tour Eiffel illuminée de mille feux, a interprété avec une émotion palpable L’Hymne à l’amour d’Édith Piaf, marquant sa première apparition sur scène après quatre ans d’absence en raison de maladie. Un moment de grâce et d’émotion pure qui restera gravé dans les mémoires.

Mais au-delà de ces grandes envolées lyriques, une question demeure: l’art a-t-il tous les droits? Peut-on tout se permettre au nom de la sacro-sainte liberté de création? Faut-il s’affranchir de toutes les limites, de tous les interdits, au risque de blesser, de choquer, de heurter?

C’est tout le débat que soulève cette cérémonie d’ouverture si singulière. En repoussant les frontières du conventionnel, en bousculant les codes et les traditions, elle a pris le risque de l’outrance et de la démesure, quitte à se mettre à dos une partie de l’opinion et à raviver les fractures et les incompréhensions.

Mais n’est-ce pas aussi le propre de l’art de déranger, de perturber, de remettre en question nos certitudes et nos conforts intellectuels? En ce sens, cette cérémonie aura parfaitement rempli son office. Elle aura été un miroir tendu à notre société, avec ses beautés et ses laideurs, ses espoirs et ses névroses.

À chacun désormais de se faire son opinion sur ce grand barnum artistique. D’y voir un sommet d’avant-gardisme visionnaire ou un inquiétant symptôme de décadence. Une ode à la diversité ou une soumission aux diktats communautaristes.

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