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Il est déjà minuit, et la ville s’effondre sous le poids des ténèbres d’une apocalypse imminente. Le texte suivant se veut une esquisse, en mots et en musique, de ce que l’avenir semble promettre.

Il est déjà minuit. La ville semble engourdie sous une couverture d’encre. Les étoiles peinent à guirlander ce voile noir d’ivoire qui s’étend à l’infini. Tout est calme. Trop calme. Rien ne laisse présager que la tempête ultime va bientôt se déchaîner. Une brise glaciale s’insinue discrètement, serpentant entre les rues désertées, effleurant les façades des maisons endormies, balayant les places vides, comme si elle cherchait, une dernière fois, à effacer les traces d’une existence qui s’effiloche. Puis, elle se meurt, et avec elle, le monde, dans cet ultime soupir, renonce à son propre souffle.

Il est déjà minuit. Le ciel se déchire. Une lumière incandescente fend la nuit, s’abattant, avec une brutalité innommable, sur la ville qui fut. Les toits s’embrasent, les murs se désagrègent, emportés dans une éruption de feu et de cendres. Le volcan se réveille. Il libère sa fureur apocalyptique, réduisant à néant ce qui, jusqu’alors, semblait éternel. Le monde s’effondre. L’horizon se fond en une lueur rougeoyante, promesse d’une aube qui ne se lèvera plus. Les cieux semblent observer, indifférents, le crépuscule de l’humanité et la fin tragique d’Homo sapiens. Seul Mozart, avec la grandeur tragique du Dies irae ("Jour de colère") de son Requiem inachevé, aurait pu saisir l’intensité de cette terreur ultime.

Il est déjà minuit. Les ruines crépitent sous les assauts incessants du cataclysme. L’air est lourd, saturé de vies éteintes et de lamentations vainement prononcées. Les visages décomposés de ceux qui cherchaient encore un sens dans cette nuit interminable se distinguent à peine. Ces âmes vagabondent désormais dans l’infini, heurtées par l’écho de prophéties oubliées ou négligées. Puis, soudainement, tout se tait. Un silence solennel s’abat, prélude à un verdict inéluctable. Une vérité que nul ne saurait contourner.

Il est déjà minuit. Le trône de Dieu domine la scène du Jugement dernier. Le Créateur contemple alors l’œuvre de Ses mains, défigurée par la folie des hommes. Ses yeux scrutent la terre flétrie par les guerres insensées et les océans de sang versés sans pitié. L’Homme, à qui Il avait confié la création, a perverti ce don sacré. Ce jour-là, les montagnes, les mers, les cieux eux-mêmes témoignent contre cette humanité indifférente. Le réchauffement de la planète, cette fièvre que la bête humaine, dans son orgueil, a préféré ignorer, est la preuve accablante de sa voracité corrosive.

Le Juge éternel plonge un regard intense dans sa créature, avant de reporter son attention sur les ravages qu’elle a infligés: les forêts réduites en cendres, les océans souillés par le poison de l’avidité, les montagnes érodées sous le poids des machines, les terres fertiles transformées en déserts arides, les espèces éteintes, les rivières taries. Mais plus encore, son regard embrasse l’innocence immolée des enfants sur l’autel des guerres meurtrières, les mères éplorées, les hommes écrasés sous la férule de la tyrannie, et cet égoïsme insatiable qui pousse l’humanité à saccager sans relâche ce qui l’entoure. Aucun détail n’échappe à Son regard omniscient, pas un murmure, pas une douleur, pas la moindre larme versée dans l’ombre du désespoir. On pourrait alors voir dans La Nuit transfigurée de Schönberg non seulement une exploration de la détresse émotionnelle et de la tragédie humaine, mais aussi un reflet inquiétant de cette réalité amère. Mais où la lumière, cette fois-ci, semble hors de portée.

Il est déjà minuit. Il est déjà temps.

Et pourtant, le matin semble si proche. Mais ce n’est pas l’aube qui pointe à l’horizon, c’est la fin d’une illusion. Celle de croire que l’Homme pouvait se soustraire aux lois mêmes de la nature. Il a voulu se faire maître, il est devenu esclave de ses propres excès. Le monde s’éteint non pas dans un cri de révolte, mais dans une acceptation tragique de l’inévitable. La leçon est simple et cruelle: l’humanité, dans sa fuite en avant, a perdu le sens du sacré. Et à cette heure fatidique, il est déjà trop tard pour reculer.

Minuit n’est pas seulement une heure, c’est un moment de vérité. Et dans cette vérité brute, l’Homme, réduit à l’état de spectateur de sa propre chute, réalise que la plus grande tragédie n’est pas la fin du monde, mais l’ignorance de ce qui aurait pu le sauver. Dieu ne prononcera pas le verdict final, car le monde s’est déjà jugé lui-même. Croyant pouvoir échapper à la justice divine, l’Homme a simplement échappé à lui-même. Il a laissé s’éteindre en lui cette étincelle divine, cette flamme qui aurait pu illuminer même les ténèbres les plus profondes.

Car ce n’est pas Dieu qui a abandonné l’Homme, c’est l’Homme qui a abandonné Dieu, et ainsi, toute chance de salut. Dans ce dernier soupir, tout se dissout: la lumière, la vie, et même l’espoir d’une rédemption. L’Hymne à la Joie de Beethoven, autrefois symbole de l’aspiration humaine à la transcendance, ne résonnera désormais plus. Hélas.

Il est déjà minuit. Il est déjà trop tard.