Pour le neuvième concert de la 28e saison du Festival al-Bustan, Renaud Capuçon et Guillaume Bellom marient, avec brio, les différentes époques musicales dans un concert caritatif dont tous les bénéfices seront reversés à l’association Beit el-Baraka. 

Dimanche soir, le violoniste français Renaud Capuçon a témoigné d’une saillante complicité avec le pianiste français Guillaume Bellom dans un florilège de pièces allant de l’époque baroque de Jean-Sébastien Bach et Georg Friedrich Haendel, à l’époque moderne impressionniste de Claude Debussy, en passant par l’époque romantique de Johannes Brahms, Robert Schumann, Fréderic Chopin, Piotr Ilitch Tchaïkovski, Sergueï Rachmaninov et Jules Massenet, et l’époque postromantique d’Erich Wolfgang Korngold. Éloquence charmeresse, poésie frémissante, et galanterie mélodique, le duo français a magnifié toutes les couleurs harmoniques dans un jeu empreint quelques fois d’une passion éruptive et d’autres fois d’une tendresse émouvante, une ambivalence entre l’énergie frémissante et la délicatesse apaisante. Au programme, dix œuvres issues de leur album Un violon à Paris, enregistré en mars 2021, à la suite d’une année de confinement, certes, mais néanmoins très fructueuse.

Plénitude bienveillante

Dès la première pièce, le troisième mouvement (Larghetto) de la sonate pour violon en ré majeur HWV371, op.1 no.13 (1750) de Haendel, on est frappé par la plénitude bienveillante des intonations et la pureté cristalline des aigus du violon, altérées, cependant, par l’aspérité de certains accords joués au piano. Ces rares imprécisions ne tardent pas à s’estomper totalement, cédant ainsi la place à un remarquable atticisme, marqué par une finesse des nuances dans l’Air sur la corde de sol de la suite pour orchestre no.3 en ré majeur (1731) de J.S. Bach; une richesse harmonique dans la sonate no.3 en ré mineur, op.108 (1887) de Brahms; et une douce langueur mettant en relief le chant plaintif du violon dans la romance en la majeur, op.94 no.2 (1849) de Schumann. Voguant sous les lueurs nocturnes de Debussy et son Clair de Lune de la suite Bergamasque (1905), Capuçon et Bellom construisent, avec envoûtement, un cheminement dramatique menant aux cathédrales sonores de Chopin où une exaltation déchirante émane de la transcription pour violon et piano du nocturne en do dièse mineur op. posthume (1830) du compositeur polonais.

Pays des harmonies éthérées

Les sonorités somptueuses s’affirmeront de plus en plus resplendissantes dans le romantisme russe de Tchaïkovski (Iolanta, op.69, 1891) et Rachmaninov (Vocalise, op.34 no.14, 1915) où une atmosphère nostalgique exhale des vibrati débordants de mélancolie. Le concert s’achève sur une contemplation méditative française de Massenet. L’incontestable qualité musicale de ces interprétations a largement mérité l’admiration du public qui, nonobstant les murmures continus de certains auditeurs éhontés, s’est laissé emporter dans un voyage à l’autre bout du monde, au pays des harmonies éthérées où tous les rêves ont le droit d’exister. Face au déluge d’applaudissements, le duo français finit par recréer, avec ferveur, quatre monuments musicaux adamantins: les émouvantes Valseuses (1973) de Stephane Grappelli, la douce-amère transcription (quelque peu plate cependant) de Cinema Paradiso (1988) d’Ennio Morricone, la souriante musique de Charlie Chaplin aux couleurs optimistes, intitulée Smile (extraite du film Modern Times, 1936), et l’étincelant aria de Giacomo Puccini, O mio babbino caro, extrait du célèbre opéra Gianni Schicchi (1918). C’est donc un moment de songe enivrant et captivant, et pourtant tellement lucide, que Renaud Capuçon et Guillaume Bellom ont offert au public libanais, enfoui dans la nostalgie de Paris du Moyen-Orient.