Elle partit des Vosges de l’enfance, des forêts vertes et touffues pour plonger à vingt ans dans le bleu de la Méditerranée. Elle partit à contre-courant, hors des chemins battus, la foi chevillée au corps, en autodidacte sûre de son intuition, accrochée à son idée comme un capitaine à son mât. "J’ai toujours su que je serai artiste depuis toute petite. Je voulais dessiner ma vie en couleurs." Et le voyage ne fut pas des plus aisés, mais Sabine Geraudie persévéra. Rencontre avec l’artiste peintre et décoratrice d’intérieur, auteure de la fameuse Chaise bleue située sur la Promenade des Anglais à Nice. 

L’inspiration est souvent fille de la mer et Sabine Geraudie le sait quand elle se rend sur la promenade niçoise en quête d’idées. "C’était pour un client qui m’a demandé de réaliser le bonheur et la difficulté d’y accéder. J’ai dessiné une chaise en quinconces avec un corps qui essaie d’attraper le soleil car le bonheur est instable."

Infatigable, elle avait à cœur d’accomplir d’éblouissantes promesses. Elle s’inspire des différentes chaises sur la Promenade des Anglais et constate que la chaise bleue est un symbole puissant à Nice. Il y avait longtemps, depuis 1950, que celle-ci meublait le littoral azuréen, mais l’objet familier n’était que mobilier urbain.

Sabine tâtonne, observe, pose un nouveau regard sur la chaise bleue. Elle a vu ce que seuls artistes et poètes voient, un objet chargé d’histoire qui prendrait vie, parlerait à l’imaginaire, serait un symbole polysémique. L’artiste réussit à sublimer une chaise triviale, faisant ce que Francis Ponge, lui, faisait en poésie, transformant le banal en quelque chose d’extraordinaire, en une réalité réenchantée par le langage poétique.

Sabine déploya tout son talent et son art dans la sculpture de "la chaise bleue" telle qu’elle la voulait en deux dimensions, telle qu’elle l’imaginait en lévitation. Elle en fit une esquisse, un dessin qu’elle retoucha, cherchant la note juste, le bleu si bleu sans qu’elle doutât que ce serait une œuvre majeure. Elle avait en tête la sculpture Love avec le O incliné de Robert Indiana vue à New York, reflet de l’esprit du pop art. Quand on lui dit qu’elle avait créé une œuvre surprenante, Sabine n’hésita pas à la proposer au maire de Nice; peut-être songera-t-il à en faire l’emblème de la Côte d’Azur? Bien lui en prit car cela lui fut un formidable cadeau du destin. Elle parle avec modestie, en peu de mots, de l’inauguration en octobre 2014 par Christian Estrosi, de La Chaise bleue haute de trois mètres sur la Promenade face au jardin Albert Ier, devant laquelle s’arrêtent, émerveillés, les promeneurs, puis ajoute, avec gratitude: "La chaise, debout sur un pied, a échappé à l’attentat du 14 juillet 2016."

Elle raconte son parcours atypique avec un sourire bienveillant, rit de ses erreurs comme si elle avait, par mégarde, raté une marche. Elle a commencé par être copiste puis appris les grisailles à l’École d’art mural de Versailles, intégré le collectif de Marc Lavalle à Nice entre 2002 et 2004, année de sa première exposition. Elle parle de sa passion pour la macrographie – "Je photographiais des végétaux, je m’en inspirais pour les peindre avec douceur et sensualité sur des toiles d’un mètre par mètre" –, de son engouement pour les galets et va dans l’autre pièce pour me montrer l’admirable tableau de mini-toiles modulables numérotées et aimantées.

L’atelier où le regard peut aisément se perdre entre les immenses toiles pendues, les œuvres d’art posées contre un mur ou le pied d’une table, le cadre d’un tableau bleu affichant une invitation joyeuse "être libre", regorge de beaux objets insolites. "Ça fait trente ans que je peins. J’aime la peinture à l’huile. Elle demande de la patience et beaucoup de réflexion en amont." Mais l’artiste-peintre a une soif qui ne se tarit pas, elle suit assidûment des cours de sculpture. "Ça m’a donné une grande liberté. La sculpture est l’école de l’humilité. Elle exige plus de concentration que la peinture. On ne peut pas se tromper." Elle se lève, saisit sur la console une magnifique sculpture en bronze de femme enceinte qu’elle a malaxée, pétrie, arrondie au fil des jours, y mêlant son cœur et son inépuisable attention.

Elle nous confie son admiration infinie pour Gebran Khalil Gebran, pour Le Jardin du prophète qu’elle relit inlassablement, et son désir de retourner au Liban qu’elle a eu le bonheur de découvrir en septembre 2019, invitée par l’association Mon Liban d’Azur au dîner de gala "Nice au cœur de Beyrouth". Elle garde en souvenir le pistolet bâillonné exposé à Zeitouna Bay, dit qu’on ne pouvait pas mieux exprimer son rejet de la violence. Celle qui dessine des anges et lit Christian Bobin ne peut qu’être touchée par l’accueil chaleureux des Libanais, ne peut qu’exprimer son empathie pour un peuple qui l’a définitivement conquise, à l’autre bout de la Méditerranée.

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