Fondée en 1990 par trois partenaires italiens avec une vision, celle de replacer l’art contemporain dans une continuité entre les époques dans des contextes chargés d’histoire, Galleria Continua commence par occuper un vieux cinéma à San Gimignano, une petite ville médiévale de la province de Sienne, au cœur de la Toscane, dans un quartier désaffecté loin des centres urbains. Ce choix géographique devait permettre de développer des formes de dialogues entre des collectivités humaines: le monde rural et industriel, local et global, des artistes d’hier et d’aujourd’hui, confirmés et émergents, dans un esprit qui se veut libre des contraintes institutionnelles du monde de l’art contemporain et de son agenda, ainsi que dans la promotion des valeurs de générosité et d’altruisme revendiquées par la galerie et qui construisent son identité.

Puis c’est l’aventure à Pékin (2004) où, toujours dans cet esprit de dialogue, la Galleria Continua se donne pour mission de montrer des artistes occidentaux contemporains encore peu connus en Chine. Les locaux de 1000 m2 et 13 mètres de haut investis par la galerie dans le 798 Art District (l’ancienne 798 Factory), une zone industrielle reconvertie occupée par des artistes, galeristes et amateurs d’art, n’avaient pas encore été restaurés, conservant ainsi son style Bauhaus des années 1950. C’est ensuite la campagne parisienne en 2007, et La Havane en 2015, avec un espace consacré à des projets culturels. Arte Continua est donc créé à Aguila de Oro, une salle de cinéma des années 50 au cœur du quartier chinois de La Havane où sera exposée Perimetro, une œuvre in situ de Daniel Buren.

Pour le trentième anniversaire, un nouvel espace dédié à de nouvelles formes de rencontres entre l’art et le public ouvre ses portes en 2020 à Rome. Leur goût pour les espaces nouveaux et inhabituels va pousser les trois partenaires à investir la Sala Diocleziano au rez-de-chaussée de l’hôtel St Regis, donnant sur un jardin. Ils y mettent en place notamment un programme de résidence d’artistes en collaboration avec le St Regis. La même année, deux autres espaces sont inaugurés à San Paolo et à Paris, dans le Marais. À São Paulo la galerie est située à l’intérieur de l’Estádio do Pacaembú, un complexe sportif réputé pour avoir accueilli d’importants matchs de la Coupe du monde de 1950, d’innombrables victoires et des moments de la mémoire collective des Brésiliens. Pour son style Art déco, ce lieu avait été déclaré en 1998 comme un monument historique important par le Conseil pour la défense du patrimoine historique, archéologique et artistique de l’État de São Paulo. Loin d’être terminée, l’aventure se poursuit encore puisqu’un espace d’exposition éphémère a été mis en place en 2021 à Dubaï, dans l’emblématique Burj al-Arab Jumeirah à Dubaï.

Pas moins de 70 artistes enfin sont liés à cette galerie, des très connus et des moins connus venant des quatre coins du monde: Etel Adnan, Ai Wei Wei, Kader Attia, Daniel Buren, Anish Kapoor, Michelangelo Pistoletto, Leila Alaoui, Jonathas de Andrade, Moataz Nasr, Chen Zhen, Jannis Kounellis ou JR, pour ne citer que ceux-là.

2020 est donc l’année également d’une nouvelle aventure dans le Marais. Il faut dire que l’expérience française du groupe avait déjà été révélée à travers celle des Moulins à Boissy-le-Châtel (Seine et Marne), dans la campagne parisienne. Cette ancienne usine rénovée de 10.000 m2 en bordure d’un cours d’eau accueille plusieurs fois par an des projets et des expositions d’œuvres d’art monumentales d’artistes qui viennent de partout. En 2008, Galleria Continua a lancé "Sphères", un concept d’exposition collective où des galeries internationales sont invitées chaque année.

Une fois de plus, la Galleria Continua dans son espace du Marais se veut flexible, inclusive, accessible à tous et ouverte à l’expérimentation. Installé dans les anciens locaux d’un grossiste en maroquinerie, ce lieu hybride, à la fois galerie d’art et épicerie fine avec ses 800 mètres carrés sur deux étages et sa superbe enfilade de fenêtres, situé non loin du Centre Georges Pompidou, fait le coin entre la rue du Temple et la rue Michel le Comte. On y boit un café, on y achète à manger, tout en lisant ou en admirant des œuvres d’art. On y fait dans le "cool", surtout lorsque le street-artiste JR curate l’exposition d’ouverture nommée Truc à faire. Entre les œuvres d’art, le visiteur trouvera des produits d’épicerie fine provenant des différentes villes où la galerie est implantée: thé vert, pecorino truffé, farine de manioc, confiture de goyave, coulommiers ou bien cidre de Seine et Marne… Un lieu donc pour regarder de l’art, discuter, faire des rencontres… Cette nouvelle galerie d’un genre nouveau accueillera bientôt un café, une boutique, ainsi qu’une salle dédiée aux rencontres et aux conférences.

"La démocratisation de l’art", telle que revendiquée par les trois fondateurs, me paraît en revanche être un bien grand concept pour cet espace qui attire une population de bourgeois-bohèmes qui apprécient autant les œuvres exposées que les bons produits proposés à la vente, ou en tout cas un public bien parisien plutôt que celui des banlieues défavorisées. Alternatif, l’espace l’est, certes, dans la mesure où il propose une expérience artistique autre, mais point dans le sens où il voudrait promouvoir une scène qui fonctionne en marge des systèmes d’évaluation et du marché de l’art. Car il convient bien entendu de ne pas perdre de vue les noms de ceux qui constituent l’écurie de ce lieu, et ils sont grands, et ils vendent bien. Rien ne vient donc contrecarrer ici le système économique de l’art. Il faut reconnaître toutefois que sa critique implicite du concept "white cube" n’est pas dépourvue d’intérêt.

Le "white cube" désigne un type d’espace d’exposition qui a la forme d’une grande enceinte aux murs blancs, généralement refermée sur elle-même par l’absence de fenêtres pour que l’éclairage reste stable en tout temps, et au système d’éclairage homogène provenant du plafond et composé de néons blancs faisant écho à la couleur des murs. Apparu dans les années 1970, il vise, par sa neutralité, à supprimer tout contexte autour de l’art que l’on y montre. Il s’est depuis généralisé à tel point qu’il est aujourd’hui considéré par les galeries et les musées comme le seul modèle de lieu d’exposition, ce qui ne va pas sans susciter des critiques: en s’apparentant à un laboratoire aseptisé, il participerait à isoler et stériliser l’art contemporain, tout en ayant tendance à trop sacraliser les œuvres, transformer l’espace d’exposition en un lieu de culte et intimider le public. Aussi ce modèle hégémonique qui, avant d’être celui des galeries, est celui des grands musées d’art moderne et contemporain, se trouve-t-il de plus en plus contesté. La dictature du "white cube" et son idéologie sont aujourd’hui reconsidérées par ses nouveaux détracteurs.

Ainsi, et c’est le cas de la Galleria Continua, les espaces d’exposition font de plus en plus aujourd’hui des choix moins radicaux et osent des décors autres qui peuvent inscrire le parcours du public dans une histoire vécue comme telle. L’expérience y devient insolite, certes, mais elle invite par le fait même à s’interroger sur ce que l’on attend de la fréquentation des œuvres. Elle invite ensuite à reconsidérer l’art dans un ensemble de sensations duquel il ne devrait pas être coupé. Elle invite aussi à le reconsidérer au sein d’une pratique sociale autre, plus décontractée, et sans doute aussi plus totale.

Ce lieu est donc imaginé comme un chantier permanent par le duo d’architectes du bureau MBL (Benjamin Lafore et Sebastien Martinez-Barat) qui cherchent à "déconstruire ce que le XXe siècle a construit". Les étagères en mélaminé blanc sont ainsi conservées. D’autres, dans lesquelles ils installent des œuvres, sont simplement découpées. Ils fabriquent socles et meubles à partir d’étagères démontées, réalisent une partie du mobilier de la galerie avec des restes du chantier. La Galleria Continua du Marais est donc conçue comme un work in progress qui donne l’impression de visiter un chantier. Une des pièces, parmi celles qui sont accessibles au public, a même été transformée en bureau des architectes. Les différents croquis du projet punaisés au mur de cette pièce incarnent la mémoire du lieu. Pour le premier accrochage en tout cas, JR a joué sur le concept de l’épicerie (lieu de convivialité et d’échanges, notamment commerciaux) en la mettant en scène. Décomplexer l’approche de l’art contemporain ainsi que son public, tel est résolument l’objectif des trois galeristes et entrepreneurs.

Actuellement, et jusqu’au 28 mai, dans l’espace du Marais, une exposition collective de onze artistes contemporains brésiliens se propose comme un parcours à travers l’histoire, la culture, la société brésiliennes, et leurs particularités au croisement d’influences occidentales et non occidentales. En collaboration avec la pinakotheke de Sao Paolo. Géométries instables approche la notion de Brésilianité à la fois du point de vue de l’identité et par le prisme des contributions artistiques qui réactualisent – ou critiquent – cette notion.