On sait, grâce à la physique thermodynamique, que l’entropie désigne l’incapacité de l’énergie contenue dans un système donné à produire du travail et à maintenir en vie le système en question. D’où vient donc cette incapacité ? Elle viendrait du système qui, fermé sur lui-même, comporte un tel niveau de désorganisation et d’imprédictibilité qu’il ne peut que s’autodétruire, autrement dit en figure imagée, se dévorer de l’intérieur. En contrepoint, la néguentropie, qui désigne l’ouverture des systèmes les uns aux autres, apparaît dans ce sillage comme la réponse de la nature, voire du cosmos dans son entièreté, à la mort entropique.

Et, que choisissons-nous, nous Libanais ? Nous choisissons, bien évidemment, l’entropie, l’auto-ostracisme, la fermeture hermétique au monde occidental, comme à l’environnement arabe ainsi qu’à toute voie d’affranchissement de notre condition actuelle. Nous préférons bien, en effet, composer avec notre désorganisation interne, l’imprédictibilité d’événements dont le tragique va en crescendo et qui aggravent encore et encore notre vécu, l’autodestruction. Nous préférons, autrement dit, l’anarchie souveraine. Et, d’ailleurs, comment ne ferions-nous pas un tel choix, nous qui croyons en notre supériorité sinon aryenne, du moins originellement phénicienne (n’avions-nous pas découvert la pourpre et inventé l’alphabet ?), ou quelque peu moins originellement mazdéenne (le mazdéisme ne porte-t-il pas en son cœur même le quiétisme philosophique et religieux, et l’autarcie économique et intellectuelle ?)

Nous, Libanais, n’avons besoin de personne et, bien plus encore, sommes supérieurs à tous. Sur tous les plans. En tous domaines. En tous temps. En tous lieux. Pourquoi donc ouvrir notre système à d’autres systèmes et nous laisser nourrir (que dis-je ! Blasphème ! nous laisser plutôt contaminer, empester) par des composantes étrangères à notre nature et susceptibles de nous aliéner ? Si tant est qu’il faille, au final, mourir (n’est-ce pas là, en tout cas, la si banale condition humaine ?), mourons seuls et fiers de l’être demeurés, sans aucun échange avec l’extérieur, lequel pourrait rabaisser de notre superbe, vampiriser notre énergie, ternir, voire éteindre notre feu olympien et empoisonner notre ambroisie ! À Dieu ne plaise ! Aux dieux aussi et surtout, les tout-petits parmi eux, les nabots, auxquels nous, Libanais, croyons de toute notre force, parce qu’ils sont, en réalité, uniques et incomparables. Imbattables et pérennes.

 

Nous, Libanais, sommes des adeptes du passé : nous optons pour la physique mécanique, entendons la mécanique statique qui, autrefois, se contentait de rendre compte des propriétés inaliénables d’un système en équilibre, avant de se retrouver supplantée par la thermodynamique et ses théories de la complexité. À quoi bon embrasser la complexité lorsque nous sommes si joliment entortillés dans nos complications ? À quoi bon chercher à nous organiser lorsque nous croyons, dur comme fer, que notre désordre est salvateur ? À quoi bon nous accepter comme une fractale de la grandeur du monde lorsque nous savons, à nous seuls, incarner la totalité de cette grandeur ?

En entropie, juste en guise de rappel aux Libanais parmi nous qui risqueraient de l’avoir oublié (mais je sais bien que cela ne se pourrait car notre mémoire est infaillible, n’est-ce pas ? Aussi est-ce la raison pour laquelle nous habitons le passé et ne voulons pas évoluer?), en entropie donc, parmi les plus récentes découvertes se trouve celle de l’entropie des trous noirs. Je souris à ceux parmi nous qui disent que nous traversons un tunnel dont nous ne voyons pas encore le bout. Car nous sommes bien plutôt dans un trou noir et que l’entropie d’un trou noir augmente pendant même que celui-ci absorbe un objet. Au demeurant, nous sommes cet objet et finirons sous peu dans un formidable Big Crunch.