Être une influenceuse de mode, est-ce un véritable métier? Quelles sont les compétences professionnelles requises pour poster des photos toute la journée sur Instagram, faire un "haul" de ses derniers achats ou recommander des produits de beauté sans aucune connaissance pharmaceutique? D’aucuns qualifient le métier d’influenceur de "futile". D’autres le considèrent comme "sexiste" en raison des stéréotypes à l’égard des femmes qu’il véhicule. Les influenceuses de mode ne semblent être préoccupées que par la brillance de leurs cheveux ou la hauteur de leurs talons. Est-ce vraiment ce à quoi les femmes doivent aspirer à notre époque de plus en plus troublée dans la plupart des régions du globe? Ne devraient-elles pas – au contraire – tenter de remédier au manque de parité dans certaines institutions et se battre pour avoir la possibilité de choisir? Choisir si elles désirent un enfant ou non, choisir leur carrière ou, au contraire, choisir de ne pas en avoir? Les défilés de mode et les salons de coiffure sont-ils vraiment nos seules options?

Sur le principe de la psychologie inversée – qui préconise le contraire du résultat souhaité – les influenceuses mode seraient-elles devenues le symbole de l’autonomisation des femmes? Coup de génie marketing, la psychologie inversée, ou dans ce cas le "féminisme inversé" est en passe de nous surprendre. Celles que l’on croyait jolies et sans cervelle, sont-elles en train de devenir les icônes de la cause féministe? Ayant accès à des plateformes disponibles en "live-stream" 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, les influenceuses font la promotion de l’esprit d’entreprise, du body positive, et de l’expérimentation de nouveaux styles de mode.

Nabilla Vergara, ex-candidate de télé-réalité, a tous les ingrédients pour être l’incarnation d’une influenceuse écervelée. Après avoir rejoint la seconde saison de "L’amour est aveugle" en 2011, à tout juste 17 ans, elle accède à la célébrité lors de la cinquième saison des "Anges de la télé-réalité" pour sa bêtise surjouée et son manque de culture générale. Un mini-short en cuir rouge, un haut de bikini trois tailles trop petit et des implants mammaires à faire pâlir Pamela Anderson, voilà ce qui constituait son uniforme de l’époque, conjugué à sa célèbre phrase sur sa vraie problématique du "manque" de shampoing. Dix ans plus tard, Nabilla a produit sa propre émission de télévision, publié son autobiographie et elle est maintenant la puissante PDG d’une marque de produits de beauté. Reine de l’autodérision, elle a judicieusement utilisé son image pour créer un empire. Muse de Jean-Paul Gaultier et icône du Festival de Cannes, Nabilla s’est fait une place dans l’industrie de la mode tout en restant elle-même. Le polémiste et ex-candidat à la présidentielle Éric Zemmour avait fait d’elle une icône de la "culture du vide". Aujourd’hui, Nabilla tient sa revanche, s’opposant au journaliste révisionniste et islamophobe, défendant le droit d’appeler ses enfants du prénom de son choix, même s’ils ne représentent pas son idéal d’une France judéo-chrétienne et réactionnaire.

Et elle n’est pas la seule à s’engager dans des débats sociétaux. Kim Kardashian, l’icône de Nabilla, reine de toutes les influenceuses, met sa notoriété à profit pour alerter l’opinion publique sur l’injustice du système carcéral américain. Avec ses 312 millions d’abonnés sur Instagram, (la France compte 68 millions d’habitants), celle qui "règne" sur les États-Unis depuis plus de dix ans touche au quotidien une audience plus large qu’aucun lanceur d’alerte ne pourrait espérer. Après avoir été invitée à la Maison Blanche par Donald Trump en 2018, la voilà en train de poursuivre des études de droit, suivant les traces de son père, Robert Kardashian, qui s’était fait connaître pour avoir défendu O.J. Simpson en 1995. Grâce aux efforts mis en place par la star de Keeping Up With the Kardashians, plus de vingt personnes ont pu être relâchées de prison, et un vrai débat s’est ouvert sur l’iniquité du système judiciaire américain.

Toutes les influenceuses ne se mêlent pas de politique, mais ce n’est pas pour cette raison qu’elles ne sont pas engagées en sensibilisant le public à des causes qui leur tiennent à cœur. Gabrielle Caunesil Pozzoli, influenceuse française basée en Italie, incarne la parfaite "it-girl". Son "feed" Instagram nous fait voyager aux quatre coins du jardin de l’Europe, alors que l’on se rêve mannequin au Duomo de Milan ou actrice sur les bords du lac de Côme. Mais sa vie ne se résume pas seulement à des shootings photos. Souffrant d’endométriose, l’influenceuse de 31 ans partage son quotidien, sensibilisant son public à cette maladie qui touche 10 % des femmes. Ayant témoigné de ses problèmes de fertilité, en passant par les diverses chirurgies qu’elle a dû subir, la voilà désormais maman et femme d’affaires à succès, dirigeant sa propre marque de prêt-à-porter, "La Semaine Paris", qu’elle a fondée en 2019.

Ces influenceuses sont loin d’être superficielles. Chaque jour, elles invitent leurs followers à engager des discussions sur l’entrepreneuriat, la politique ou la santé, tout en exposant leurs faiblesses. Dans un monde dirigé par les hommes, elles n’ont pas peur d’être elles-mêmes, fashionistas et activistes. Les vêtements, les chaussures et les coiffures sont peut-être un stéréotype féminin, mais ils représentent un véritable business. Sujette à l’expérimentation, la mode permet de construire son identité. En s’assumant femmes fortes et indépendantes, les influenceuses de mode jouent sur ces stéréotypes sexistes, devenant des modèles pour une génération à la fois animée et piégée par les médias sociaux. Savoir que des plateformes comme Instagram, qui reflètent souvent des modes de vie irréalistes, peuvent être une véritable source d’autonomisation et d’indépendance financière, est une source d’espoir pour une jeunesse bien plus en quête de sens que les apparences ne le laissent paraître.