Le coup d’envoi du Festival d’Avignon aura lieu demain jeudi. Ici Beyrouth annonce, en exclusivité, la programmation de cet événement tant attendu, accompagnée de l’interview d’André Castelli, conseiller départemental et auteur.

" — Qu’emporteriez-vous si la maison brûlait?
— J’emporterai le feu!"

Cette réponse de Jean Cocteau résume en un mot la magie de la vie ou du théâtre: la fougue. Le feu est impalpable. Il brûle. Il réchauffe. Il caresse les souvenirs. Il fait naître des étincelles. Il est sacré, imposant, éphémère, présent. Tout comme le théâtre, il est l’art de l’ici et du maintenant. Il est renaissance.

Ainsi, le Festival d’Avignon nous revient, inlassablement. Comme par magie. Comme un rêve au coin du feu. Il embrase tous les espaces vides et les emplit de fougue. La fougue de l’après. En hommage à Jean Vilar, à Jean-Louis Trintignant originaire du Gard et élève à Avignon, à tous ceux qui ne sont plus et à hier, le Festival d’Avignon tient le flambeau aujourd’hui, tout feu tout flamme, pour que le passé, le présent et l’avenir fusionnent en un instant pour nous ouvrir la fenêtre du rêve et, pour citer Peter Brook, "oublier le temps".

Les voix s’enchaînent et "chaque génération assiste à la fin d’un monde et au commencement d’un autre. Entre les deux, c’est une pagaille, une cacophonie, un théâtre inachevé. Il appartient à chaque génération peut-être de changer le cours du destin, mais surtout d’inventer son propre récit", atteste Olivier Py, artiste-directeur du festival d’Avignon. Pour lui, "tout se termine par ‘il était une fois’, c’est-à-dire par la possibilité de raconter encore. Quelque chose finit et quelque chose commence et entre les deux la jeunesse cherche les mots qui donneront sens à son combat… Que le Festival d’Avignon soit toujours le lieu de la jeunesse, de la parole et de ce qui vient".

Un bouquet de sélections

Ma Jeunesse exaltée par Olivier Py

Olivier Py présente sa dernière création comme artiste-directeur du Festival d’Avignon. Il revient à la forme épique. Ma Jeunesse exaltée s’inscrit en miroir à La Servante qui, en 1995, vingt-sept ans déjà, inaugura son aventure avec cette manifestation hors norme.

Py dresse le portrait d’une jeunesse indomptable dont Arlequin est le personnage central. Figure mythique de la comédie, rapiécée et multicolore, Arlequin devient le héros d’une quête vers la transcendance. Le metteur en scène convoque des compagnons de toujours et une nouvelle génération d’interprètes pour une épopée de dix heures, oscillant entre manifeste, célébration et pèlerinage.

Une pièce de transmission, un passage de relais.

Ma jeunesse exaltée par Olivier Py

Anaïs Nin au miroir d’Agnès Desarthe (texte) et Élise Vigier (mise en scène)

Des comédiens répètent un cabaret autour de la figure d’Anaïs Nin, auteure féminine et féministe qui s’interroge sur le point de vue féminin. À force de la convoquer, elle finit par surgir, fantomatique, pour hanter leurs mots… Pour Élise Vigier, "Anaïs Nin croit que le fantastique, le merveilleux de la littérature, peuvent être aussi forts que l’amour, que la vie".

Anaïs Nin au miroir, Élise Vigier, 2022-© Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Jogging de Hanane Hajj Ali (théâtre)

Ce Jogging iconoclaste nous fait suivre les histoires de quatre femmes venues du monde arabe bien loin des stéréotypes qui les accablent habituellement. Une performance humoristique qui peut s’avérer très sombre.

La Femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov (projection en avant-première)

Russie, XIXe siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et brillante, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte tourne à l’obsession et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer pour rester auprès de lui.

(Festival de Cannes – Compétition, sélection officielle 2022)

La femme de Tchaïkovsky

L’œil présent de Christophe Raynaud De Lage (exposition)  

Plongée sensorielle dans la mémoire récente du Festival d’Avignon, l’exposition-déambulation fait renaître dix-sept ans d’émotions collectives.

Montage de l’exposition " L’Oeil présent " de Christophe Raynaud de Lage -© Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Le regard d’André Castelli, conseiller départemental et auteur sur le Festival d’Avignon

André Castelli

Que pensez-vous de la diversité du programme au sein du Festival d’Avignon, y compris dans cette édition postpandémie? Ouvre-t-il d’autres horizons?

Il me paraît important de rappeler que le Festival d’Avignon est une manifestation devenue multiple, mais qu’il nous faut garder la racine historique de ce temps hors norme. Un temps qui a évolué dans la poussée de grands changements politiques, sociaux et culturels. Ce festival se crée dans cette idée fondamentale que la reconquête sociale et politique passe par son rapport à l’éducation et la culture populaires. Jean Vilar le crée en 1947 avec cet état d’esprit et le fonde d’emblée sur la qualité théâtrale.

Il ne fait aucun doute qu’Avignon vit au rythme de ce temps bref, mais permanent dans la vie de la cité tout au long de l’année. Il a effectivement évolué dans la diversité et la modernité, et il ne peut échapper aux mouvements qui se font jour. Cela fut le cas dans des grandes périodes sociales et syndicales sur la place des acteurs, des professionnels qui entourent les créations ; cela fut aussi le cas pendant la période de rupture due à la pandémie.

Cette modernité du temps que nous vivons ne peut qu’influencer la diversité de la programmation qui doit se faire en toute liberté, même si elle bouscule les approches traditionnelles. Ce festival est devenu multiple… In, Off… Cette multiplicité, selon moi, doit faire aujourd’hui l’objet d’une grande attention. Si je suis pour la modernité, je suis pour une modernité qui reste dans le sens historique de l’objet. Plus que jamais la question de l’éducation populaire, de l’accessibilité aux lieux culturels, de l’appropriation publique de ce moment dans la cité me paraît d’actualité.

 "Un avenir meilleur pour Avignon." Le Festival d’Avignon relie-t-il passé et présent? Et comment établit-il les bases d’un meilleur avenir?

Oui, je pense que le festival peut et doit jouer un rôle de passeur de culture. Le lien entre passé et avenir est un enjeu; et tout particulièrement dans et pour la ville. La crise sanitaire que nous venons de vivre et qui n’est pas terminée a laissé des traces dans les rapports entre les gens. Le Festival par son enracinement urbain peut être un outil permanent au service de la reconquête de la tolérance, du respect, de la dignité. Le festival, comme les citoyennes et citoyens de la ville et au-delà, a besoin d’unité. Mais force est de constater que le festival se trouve depuis quelques années dans un processus accéléré de déviance qui commence à être contesté, mais qui produit des tensions visibles dans la ville. Par exemple, un effort incontestable a été à l’œuvre commune par les théâtres avignonnais depuis quelques années, mais ce travail collectif est fortement ébranlé par des stratégies globalement financières, qui se préoccupent de situations loin de l’émancipation culturelle pour toutes et pour tous. Oui, le festival est aussi devenu un temps de multiplicité immobilière et financière. En cela, je pense qu’effectivement le temps d’une réflexion pour un nouveau scénario a sonné: le festival, outil de transition culturelle. Le théâtre est invité sur la scène de ses gènes antiques qui ont permis la construction des grands lieux qui ont nourri notre histoire. Le festival peut être cette organisation qui met en mouvement les acteurs locaux de la reconstruction citoyenne, ils ont les outils pour cela.

Considérez-vous le théâtre comme une forme de résistance, de rébellion ou d’expression? 

Dans le théâtre, il y a tout ce qui fait la vie. L’écriture, produite par une pensée et une vision; une scène sur laquelle cela va être présenté; des actrices et des acteurs qui certes énoncent un texte, mais le font avec leur personnalité; des spectatrices et spectateurs qui non seulement reçoivent un message commun, mais sont interpellés dans leur intimité et leur conscience. Mais cette mise en commun peut porter divers messages. Et il ne fait aucun doute que beaucoup de ces temps peuvent, et selon moi doivent être des temps de résilience, de résistance et capables de nourrir des pensées de résistance. Molière est de ce point de vue un exemple historique, mais tout me pousse à penser également qu’il serait peut-être aussi utile d’évoquer au moins les premiers actes de cet art du parler et du regarder dans un lieu unique, en rappelant que le mot théâtre désigne tout autant cet art que le lieu où il s’exerce. Il se rapproche alors de la Nature et notre Festival d’Avignon porte en lui ces gènes de la nature que nous devons préserver et protéger.

Quelle place occupe la culture au sein de vos projets actuels et futurs pour Avignon?

Mon action avignonnaise est un long chemin qui va un jour déboucher sur un nouvel espace. Cette question de la culture a été sans cesse présente dans mes responsabilités associatives, syndicales et politiques. Je pense qu’il m’est impossible de me départir des rapports que cette question construit. Les rapports à la curiosité, à l’imagination. Les rapports à la lecture et donc à l’évasion. La peinture et autre pratique artisanale. Je me suis depuis très longtemps engagé sur la question de la mémoire, des archives et de leurs protections.

*Festival d’Avignon, du 7 au 26 juillet 2022
Pour consulter la programmation, cliquez ici.

Cour d’honneur du Palais des papes, ambiance. 2015. © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon