L’année 2021 a sans aucun doute été un bon millésime pour les différents acteurs du marché de l’art libanais. Face à un contexte de crise sans précédent, les maisons d’enchères ont su faire preuve d’adaptabilité. Conversion numérique et transactions en chèque " lollar " ont permis de doper une demande au point mort. Reste qu’avec la volatilité conjoncturelle, l’expansion demeure précaire.

Le Liban a toujours été le creuset et la vitrine de la création artistique du Moyen-Orient. Malgré les constants cataclysmes qui l’agitent, l’art reste un de ses derniers bastions à montrer encore un semblant de vitalité. Preuve en est, l’envolée du chiffre d’affaires global du marché de l’art (galeries et maisons d’enchères) qui serait passé, selon certaines sources, de 5 à 7 millions de dollars avant la crise à un intervalle de 7 à 10 millions aujourd’hui.
" Lorsque j’ai lancé ma maison en mars 2019, je prévoyais d’organiser deux grandes ventes par an. J’ai fini par en faire quatre rien qu’en 2021 en maintenant une offre de 80 à 100 lots par enchère ", raconte enthousiaste Farouk Abillama, collectionneur et fondateur de la maison FA Auctions, dont la prochaine adjudication en ligne se tiendra le mardi 8 mars et se poursuivra jusqu’au samedi 12 mars. Outre FA Auctions, trois autres maisons se disputent le marché secondaire : Arcache Auction, Nada Boulos Auction et Artscoops. Une année faste donc pour ces dernières qui, pour répondre à la demande exponentielle, ont dû organiser des enchères à intervalles réduits. " Entre 2020 et 2021, j’ai réalisé un bond de 50% de mon chiffre d’affaires ", ajoute l’expert mais tempère toutefois, " le bilan de l’année passée reste quand même exceptionnel ".
Petit retour en arrière. Un an déjà avant le début du soulèvement populaire en 2019, les maisons peinaient à trouver leur public. Face à l’instabilité croissante, les acheteurs traditionnels avaient en partie déserté les salles d’enchères, préférant la sécurité bancaire et ses taux infiniment plus lucratifs. S’en est suivi une période de flottement où les transactions ne se faisaient plus que de gré à gré. " Les prix se négociaient un peu à tâtons, précise Farouk Abillama. Il n’y avait absolument aucune transparence et personne ne pouvait véritablement estimer la réelle valeur marchande d’un tableau. "
Les ventes aux enchères publiques n’ont réellement démarré qu’à l’été 2020. Et jusqu’à décembre 2020, elles ont octroyé au marché le soin d’ajuster la cote de chaque artiste en laissant jouer l’offre et la demande. Cette visibilité accrue offerte par les maisons d’enchères a été l’élément pivot dans l’expansion actuelle, permettant une meilleure compréhension du marché et achevant de convaincre une nouvelle clientèle, autrefois hésitante. L’année 2021 confirmera cette tendance haussière alimentée cette fois par l’instauration d’un contrôle des capitaux et le passage au numérique.

La crise, booster des ventes  
C’est bien connu, en période troublée, l’art devient un placement attractif. Pour Farouk Abillama, " il n’existe pas d’actif équivalent, avec un apport esthétique et ce même potentiel de plus-value à la revente sur les 5 à 10 ans à venir ". " À la différence de l’or, coté en bourse, l’art possède une dimension subjective sur laquelle on peut aussi miser et qui offre une marge de manœuvre supplémentaire lors des tractations ", ajoute-t-il.
Véritable catalyseur, la crise bancaire a drainé un plus grand mix d’acheteurs dont des amateurs débutants et des spéculateurs, venus non seulement trouver dans l’art une " valeur refuge ", mais aussi échanger contre un objet de valeur, leurs dollars bloqués en banque. Car les transactions se faisaient jusqu’ici en chèque " lollar ". " Dans la majorité des cas, on prenait en considération le cours du dollar libanais dans les estimations des œuvres mises en vente, explique le patron de FA Auctions. Ces chiffres étaient, bien entendu, réévalués à la lumière de chaque résultat d’enchère et en phase avec la cote de l’artiste une fois ramenée à sa valeur cash dollars. "
En misant sur l’art, les acheteurs espéraient récupérer, à long terme, une partie des pertes provoquées par la décote sur leur épargne. Une gymnastique arithmétique dans laquelle les vendeurs aussi y trouvaient leur compte. Pragmatiques, désirant profiter de l’embellie ou en manque de liquidités, ils acceptaient de jouer le jeu.

Tournant numérique  
L’épidémie a, quant à elle, imposé la transition digitale du marché. Une numérisation à marche forcée et des résultats probants puisque les adjudications en ligne, plus accessibles et réactives, ont permis de dynamiser les ventes. " Les enchères en présentiel requéraient toute une organisation, précise Farouk Abillama. Avec le online, un simple ordinateur suffit pour passer des offres d’achat selon son desiderata et en toute discrétion; nul besoin de parler au téléphone et aucune pression pour renchérir. " La bascule numérique a généré un rayonnement international, ralliant à la plateforme des acheteurs domiciliés à l’étranger et poussant dans la foulée le plafond des records de ventes. " Avec des artistes comme Hussein Madi, déjà confirmés et chers, les acquéreurs se sont reportés sur des signatures plus accessibles et à fort potentiel, reprend-il. À l’instar de Jamil Molaeb qui émerge comme une force sur le marché, confirmant sa côte montante post crise et créant de ce fait une plus-value sur ses œuvres. Idem pour Hassan Jouni. "
Reste que les premiers indicateurs pour 2022 montrent des signes d’essoufflement. Les vendeurs refusent de plus en plus de prendre sur eux le risque de la fluctuation du taux lollar et réclament du cash dollars. Trouver des lots n’est plus chose aisée. Quant aux acheteurs, ils ont réussi à sortir une partie des sommes bloquées tout en achetant les œuvres qui les intéressaient et sont devenus plus exigeants dans leur choix. " Le ralentissement est perceptible. Pour preuve, l’année dernière, j’ai organisé ma première enchère en janvier alors que le démarrage des ventes pour 2022, toutes maisons confondues, n’a eu lieu qu’en février ", conclut Farouk Abillama.