Il semble que du judiciaire au Liban, il reste tout sauf le pouvoir. La hiérarchie pour la procureure générale près la cour d’appel du Mont Liban, Ghada Aoun, est un concept quasi inexistant. Pour le procureur général de la République, Ghassan Oueidate, il suffit de diriger une quelconque plainte contre celle dont il est le supérieur hiérarchique pour accomplir ses fonctions. Lundi matin, un duel a opposé les deux antagonistes respectivement proches du Courant patriotique libre (CPL) et du Courant du Futur. Tout laisse à penser que les deux partis mènent leurs guerres par le biais, entre autres, du corps judiciaire.

Alors qu’elle devait comparaître lundi à 10h30 devant le procureur Oueidate, Mme Aoun a non seulement choisi de répondre absente à cette audience, mais aussi de présenter une demande de dessaisissement contre lui, pour cause d’incompétence. Ce recours a été déposé par son avocate, Pascale Fahed, qui s’est rendue à la convocation. Il a fallu attendre quelques minutes pour que M. Oueidate rétorque par le dépôt d’une plainte contre son " adversaire " devant… l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui, faute de quorum, ne peut se réunir depuis que le ministre des Finances, Youssef Khalil, refuse de signer le décret des nominations judiciaires. Le procureur Oueidate a repris, pour intenter une action contre elle, les mêmes motifs avancés par le président du Parlement Nabih Berry, dans la plainte qu’il avait déposée contre elle, mercredi dernier, pour diffamation, incitation à la discorde confessionnelle, calomnie et abus de pouvoir.

Pour rappel, Mme Aoun avait publié sur son compte Twitter, une image sur laquelle étaient affichés des noms de responsables libanais, parmi lesquels ceux de M. Berry et sa femme, accusés de détenir des comptes bancaires en Suisse et qui seraient gelés par Washington. Une affaire que le président du Parlement ne lâchera pas facilement. C’est ce qu’a confirmé son avocat, Ali Rahal, interrogé par Ici Beyrouth. " Le juge Oueidate n’a pas encore été notifié du recours présenté contre lui. Il le sera certainement et devra se dessaisir du dossier jusqu’à ce que décision soit rendue. Cela ne nous empêchera toutefois pas de poursuivre notre requête, quitte à recourir à un autre juge ", a assuré M. Rahal. " Mme Aoun use de ses pouvoirs et de la couverture politique de laquelle elle continue de jouir, malgré le départ du président de la République, Michel Aoun ", a déclaré une source judiciaire, ayant préféré garder l’anonymat.

L’on se demande, dans ce contexte, pourquoi l’Inspection judiciaire ne s’est pas elle-même saisie du dossier lorsque la liste a été publiée par Mme Aoun sur son compte Twitter. " Si les institutions de l’État fonctionnaient normalement et que le pouvoir judiciaire n’était pas victime d’ingérences politiques, l’Inspection judiciaire aurait dû elle-même convoquer la procureure générale du Mont Liban ", a affirmé l’ancien président du Conseil d’État Chucri Sader, sidéré par " ce cirque au sein de la magistrature ".

Ce n’est pas la première fois que Mme Aoun refuse de se plier aux décisions prises à son encontre. Méprisant toutes les procédures judiciaires, elle avait refusé de comparaître devant l’Inspection judiciaire, en 2021. À l’époque, elle avait perquisitionné, le siège de la société Mecattaf qu’elle accusait de blanchiment d’argent. Un scénario qui nous rappelle les agissements des deux anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaiter, qui, eux aussi, refusent de comparaître devant le juge d’instruction, Tarek Bitar qui les avait convoqués dans le cadre de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020.

Mme Aoun avait également refusé de se conformer à une décision du procureur général de la dessaisir de tous les dossiers financiers, qui sont, d’après le procureur général, de la compétence du Parquet financier. En temps normal, un juge qui fait l’objet d’une demande de récusation, devrait suspendre son enquête en attendant que l’affaire soit tranchée. Or, Mme Aoun préfère déroger au cours normal de la justice.