“Makram, es-tu réveillé ? Lokman a disparu !”

C’est avec ce message concis dans les rétines que je me suis réveillé, au matin du 4 février 2021, pour apprendre la nouvelle de l’enlèvement de Lokman Slim, mon courageux ami et compagnon de route dans cette aventure visant à préserver la mémoire libanaise, cette bataille contre le fascisme et le racisme, et cette lutte commune pour édifier un État démocratique et laïc digne de nous.

Mon choc s’est rapidement transformé en rage lorsque j’ai vu Lokman baignant dans son propre sang, après son assassinat par des pleutres terrifiés par sa sagesse et sa verve acérée, qu’il déployait si habilement pour défendre la vérité et la justice.

Depuis le premier moment où j’ai rencontré Lokman et Monika au " Hangar " à Haret Hreik, en février 2006, jusqu’à l’instant où mon ami a physiquement disparu, des années de conversations, de discussions et de projets intellectuels et historiques, entremêlés de bons repas et de vin, se sont écoulées. Animés par une obsession, celle de préserver la mémoire des nombreuses guerres civiles et de documenter les crimes et massacres commis par la classe dirigeante et leurs alliés internationaux sur la terre du Liban contre ses habitants.

Mon livre le plus récent, Conflict on Mountain Lebanon, qui a été adapté en arabe et édité par Lokman, est le résultat d’années de recherches et d’entretiens oraux que j’ai menés avec des personnalités qui ont participé aux événements du conflit connu sous le nom de “Guerre de la Montagne en 1983”. Cette longue étude a été l’occasion d’une première coopération entre le Centre pour de recherche et de documentation UMAM, et du début d’une amitié profonde avec Lokman, qui m’a permis de devenir membre de son clan intellectuel et d’utiliser largement ses cercles, notamment dans le cadre d’une série d’activités intellectuelles liées à l’histoire du Liban et à d’autres projets politiques réformistes.

Lorsque la tente du Civic Influence Hub – dont j’étais l’un des gardiens – a été attaquée au centre-ville de Beyrouth, lors de la révolution du 17 Octobre, par les sauvages de l’axe iranien, je me suis retourné pour trouver Lokman et une poignée de personnes braves et courageuses près de moi. La sempiternelle accusation de “collaboration”…

Lors de ma dernière rencontre avec Lokman, dans son bureau, une semaine avant son assassinat, il m’a demandé avec un grand sourire d’oublier mon livre et la demande que nous préparions avec le Programme des Nations unies pour le développement, dans la mesure où ces projets étaient terminés. “Nous avons beaucoup d’autres projets à venir et de " conspirations " sur lesquelles nous devrions nous concentrer”, m’avait-il lancé.

Lokman Slim n’est pas seulement un intellectuel, écrivain, traducteur, éditeur et militant de premier ordre, mais plutôt une image du Liban et du Levant auquel nous aspirons, d’un pays qui ne craint pas la raison, le pluralisme et la liberté, et qui ne sanctifie pas les idoles et les criminels de guerre.

Mon livre a été traduit en arabe littéraire " sain”, cette langue que Lokman aimait, dans laquelle lui et son ami imaginaire “Saeed al-Jin " se sont distingués, et qui ornait les nombreux articles et e-mails qu’il m’a envoyés au fil des ans.

Chère Monica,

Lokman n’a pas disparu, c’est juste que son corps n’est plus au rendez-vous. Il reste dans chaque lettre et page que nous publions à travers UMAM et de nombreuses autres plateformes libérales et libres.

Le criminel et son " maître ", ou “Sayyed”, qui ont assassiné Lokman ont cru naïvement pouvoir effacer le slogan Zero Fear que Lokman avait lancé face aux barbares qui ont attaqué les murs de sa maison à Haret Hreik. Ils pensaient également que leur crime resterait impuni, comme cela a été le cas pour des dizaines d’assassinats politiques au fil des ans.

La justice pour Lokman viendra tôt ou tard, et Lokman restera la voix palpable de la défense du temple de la liberté et de la raison dans une forêt gouvernée par des tyrans et des criminels.

Justice. Même si le ciel doit s’effondrer…

Mon ami Lokman… tu me manques.