En ce 14 février 2022, l’Église latine (catholique) fête Saint Valentin ainsi que Saint Maroun, l’ermite anachorète de Cyrrhestique, que l’Église maronite a solennellement célébré le 9 février dernier. En ce même jour du calendrier liturgique, l’Église byzantine (orthodoxe) commémore le même Saint Maroun ainsi que Saint Maxence. Le Liban, quant à lui, se souvient aujourd’hui de l’attentat terroriste du 14 février 2005 dont furent victimes l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ainsi que des dizaines de victimes. Quant au monde du crime organisé, il se rappelle du massacre de la Saint Valentin, perpétré par Al Capone en 1929, contre son rival Bugs Moran à Chicago. Pendant ce temps, le Hezbollah, simple proxy iranien, poursuit les basses-œuvres de ses maîtres iraniens et démantèle encore plus l’État libanais en s’en prenant directement à l’armée et à son commandant en chef qu’il accuse d’être au service des États-Unis.

Il est légitime, en ce jour riche en commémorations de citer ces personnages côte à côte. L’assassinat de Rafic Hariri a inauguré une longue période, non encore close, de démantèlement systématique de l’État libanais, de la destruction de ses institutions, de la faillite de son économie, de la ruine de son réseau universitaire et de tout ce qui a fait le Liban. Au vu de Beyrouth en ruines; au vu d’un peuple réduit à la pauvreté à plus de 70%; au vu de dizaines de milliers de petits épargnants qui ignorent si demain ils pourront assurer une miche de pain pour leur subsistance; au vu de toute cette tragédie de nature à émouvoir l’enfer lui-même, les autorités libanaises demeurent imperturbables. Aucune émotion. Pas la moindre compassion pour le peuple. Les autorités en place grâce au poids d’un arsenal étranger n’ont d’autre souci que perpétuer leur pouvoir ou remporter la moindre minibataille des guerres picrocholines que se livrent entre eux les gangs de la caste dirigeante, suivant la même logique que celle qui opposait à Chicago les bandes de South-Side, dirigées par Al Capone, à celles de North-Side, menées par Bugs Moran.

Entretemps, le monde entier retient son souffle et a les yeux braqués sur la crise en Ukraine qui pourrait, sous peu, entraîner l’humanité dans un conflit aux conséquences imprévisibles et incalculables. Au Liban, il y a plus important que les gesticulations guerrières de Poutine et Biden. Il y a le Guide suprême à l’index menaçant, royalement assis devant un portrait en pied des ayatollahs iraniens Khomeini et Khamenei, et qui condamne publiquement les agissements supposés du commandant en chef de l’armée, qui reçoit un peu trop souvent l’ambassadrice des États-Unis. Être un agent iranien, c’est faire preuve de patriotisme libanais semble-t-il. Mais de quelle patrie s’agit-il? Existe-t-il encore un seul peuple au Liban ou au moins deux? D’un côté le peuple libanais traditionnel, une mosaïque bigarrée et pluriconfessionnelle, qui se radicalise de plus en plus face à cet autre peuple qui habite le Liban, mais qui forme une masse soudée et homogène, entièrement soumise à l’homme à l’index menaçant. S’en prendre directement à l’armée libanaise est, en principe, un acte de guerre surtout quand on reconnaît être soi-même un agent d’une puissance étrangère qui a fait voler en éclats toutes les frontières depuis la Méditerranée jusqu’en Mésopotamie, qui a réduit en cendres les villes du Levant et forcé à l’exil plusieurs millions des habitants du Levant.

Au milieu de ce spectacle tragique, nous avons assisté à un remake de la prise d’assaut du siège patriarcal maronite de Bkerké en 1989 par les partisans du président Michel Aoun. La messe solennelle du 9 août 2022 en l’église de Mar Maroun de Beyrouth n’est pas près d’être oubliée. Ce n’est pas Jésus-Christ qu’on a applaudi, encore moins Saint Maroun dont l’Église maronite fait la mémoire ce jour-là. La masse hurlante des partisans vociféraient, dans le lieu saint, leur amour aveugle à l’égard de leur idole humaine. Jadis, les légions romaines avaient l’habitude d’acclamer un héros guerrier en dehors des murs de Constantinople, dans le camp de l’Hebdomon, en l’élevant sur un carquois comme César des Romains. Le convoi faisait son entrée triomphale dans la ville jusqu’au Grand Palais. Puis, l’empereur ressortait, traversait l’espace qui séparait le Palais impérial de la basilique Sainte-Sophie. Là, il était dépouillé de tous ses ornements et conduit par le patriarche jusqu’aux pieds de l’autel où, en toute humilité, il recevait le degré le plus inférieur du sacerdoce, celui d’hypodiacre, ce qui lui permettait d’encenser à certains moments des offices liturgiques.

À Beyrouth, en l’église de Saint-Maron en ce mémorable 9 février 2022, nous n’avons rien vu de toute cette humilité déférente face au Sacré. Tout se passait comme si l’église était prise d’assaut par des partisans politiques, non pas au nom de Jésus-Christ ou de Maroun, le saint anachorète de Cyrrhestique, mais au nom de cette maladie mortelle de l’âme collective qu’on appelle l’identitarisme.

Il est temps de dénoncer sans appel l’outrecuidance rebelle de l’agent iranien qui piétine la dignité libanaise. Mais il est temps aussi de condamner un certain identitarisme chrétien, de la part d’une faction maronite, qui ne recule pas devant le sacrilège rien que pour s’affirmer et clamer son détestable populisme.

Que sont donc devenus ces chrétiens du Liban? Et où seront ces forts en gueule après l’apocalypse ukrainienne?