Le militant de la société civile proche de l’ancien député Farès Souhaid soutient que sa convocation au bureau d’investigation de la police, le mardi 15 février à 10h, est un épiphénomène de l’occupation iranienne du Liban par l’intermédiaire du Hezbollah.

Bahjat Salamé, militant de la société civile et proche collaborateur depuis plusieurs décennies de l’ancien député Farès Souhaid, avec lequel il a fondé le Rassemblement de Saydet el-Jabal en 1999 (dont il est le vice-président) ou, tout récemment, le Conseil national pour la levée de l’occupation iranienne, est appelé à comparaître mardi matin devant le bureau d’investigation des Forces de sécurité intérieure.

Président du Front libanais pour la souveraineté, un groupe d’associations de la société civile souverainistes, M. Salamé avait également été, dans la foulée du printemps de Beyrouth, l’un des fleurons du secrétariat général du 14 Mars, dont les bureaux à Achrafieh étaient un espace de rencontre transcommunautaire national entre partisans et indépendants et le point de départ de nombreuses initiatives et documents de base, sous la houlette notamment de Samir Frangié, Nassir el-Assaad et Mohammad Hussein Chamseddine, aux côtés de M. Souhaid.

Son crime? Le même que celui pour lequel Farès Souhaid est poursuivi depuis 2021: lèse-majesté envers le Hezbollah tout puissant.

Accusé d’avoir… porté plainte contre l’avocat du Hezb

Me Élie Kyrillos, avocat de M. Salamé, rappelle ainsi à Ici Beyrouth qu’en décembre, "une plainte avait été déposée par les avocats du Hezbollah contre Farès Souhaid, président de Saydet el-Jabal, sous les chefs d’accusations suivants: ‘atteinte à la paix civile’ et ‘diffamation envers le Hezbollah’".

Le parti chiite avait même été jusqu’à prétendre que sans l’intervention personnelle du secrétaire général du parti Hassan Nasrallah, M. Souhaid aurait provoqué une guerre civile au Liban… à cause d’un tweet.

Le 13 décembre 2021, le jour où l’ancien député s’était présenté au Palais de justice de Baabda pour l’interrogatoire dans le cadre de cette affaire, Bahjat Salamé se trouvait sur place avec des groupes de la révolution du 17 Octobre pour lui exprimer son soutien. Ce jour-là, racontent des témoins parmi les manifestants, l’un des deux avocats du Hezbollah, Me Raëd Mortada, avait filmé les protestataires à l’aide de son téléphone portable et les avait insultés, les accusant d’être "des agents à la solde des ambassades, pro-américains, sionistes, traîtres, infidèles…". Une altercation s’était aussitôt produite avec la petite foule rassemblée pour soutenir Farès Souhaid, qui avait déjà quitté les lieux.

Selon Me Kyrillos, "les insultes et les propos désobligeants de Me Mortada sont documentés. Il s’en est pris personnellement à des protestataires qui scandaient des slogans politiques. Des civils ont porté plainte contre Me Mortada et le procureur général a transféré la plainte à l’ordre des avocats pour qu’il se prononce au sujet de la levée de son immunité. Le dossier est toujours à l’étude".

Le lendemain de l’incident, Me Mortada avait porté plainte contre M. Souhaid et toute personne dont l’enquête démontrerait la responsabilité, affirmant que l’ancien député de Jbeil avait dépêché des personnes devant le Palais de Justice pour lui porter atteinte, l’empêcher d’exercer sa profession et l’insulter.  La procureure générale du Mont-Liban, Ghada Aoun, avait aussitôt demandé au bureau d’investigation des Forces de sécurité intérieure (FSI) de Baabda de mener une enquête à ce sujet, sous sa direction.

Les perversions de l’occupant

Bahjat Salamé confirme qu’il faisait bel et bien partie des manifestants qui s’étaient mobilisés en signe de soutien à Farès Souhaid, le 13 décembre 2021. Des slogans hostiles à l’Iran avaient été scandés à l’occasion, comme "Nous ne voulons que l’armée libanaise au Liban" et "Terroriste, le Hezbollah est terroriste".

"Je suis l’un de ceux qui ont porté plainte en janvier contre Me Mortada à la suite de cet incident. À mon avis, c’est la raison pour laquelle j’ai été convoqué. Fait étrange, le tribunal convoque les accusateurs, mais pas les accusés. Cela ne peut arriver que dans un pays occupé, où ceux qui détiennent le pouvoir sont capables de pervertir l’ordre des choses selon leur bon vouloir et sans garde-fous", dit-il.

Le militant appelle dans ce contexte via Ici Beyrouth "l’ONU à nécessairement considérer le Liban comme un pays totalement sous occupation iranienne, par l’intermédiaire du Hezbollah".  "Je suis président du Front libanais pour la souveraineté et je faisais partie du petit groupe de compagnons de Lokman Slim", le philosophe, chercheur, éditeur et opposant chiite au Hezbollah assassiné au Liban-Sud dans la nuit du 3 au 4 février 2021. "En 2019, je suis descendu dans la rue pour appeler à une résistance pacifique libanaise contre le Hezbollah, mû politiquement par les principes de Saydet el-Jabal, dont je suis co-fondateur et membre depuis 22 ans", souligne-t-il.

Un feuilleton jonché de convocations

Pour Me Élie Kyrillos, le Hezbollah se livre à travers le dossier Souhaid à un interminable chantage sous la forme d’un feuilleton judiciaire, multipliant depuis six mois les convocations des souverainistes : Élise Moukarzel, Chafic Badr, et maintenant Bahjat Salamé… C’est Dallas!

"Il est triste d’accaparer les agents de sécurité par des convocations d’activistes, au lieu de les laisser prendre en charge des affaires beaucoup plus graves qui portent atteinte au pays et à sa réputation", se désole l’avocat, qui affirme avoir déposé il y a plus de six mois une plainte contre l’organisation "al-Kard al-Hassan" du Hezbollah, qui constitue  "un système monétaire parallèle au système officiel libanais", ainsi que contre ceux qui importent des médicaments iraniens de manière illégale.

"La plainte reste bien entendu sans suite jusqu’à présent, en dépit du fait que le pouvoir prétend mener une lutte féroce contre la corruption. La juge Ghada Aoun a accepté de recevoir le dossier pour ne pas paraître injuste… mais aucune enquête n’a été lancée…", ajoute Me Kyrillos.

"Une étape dans la longue marche pour la libération"

Pour sa part, Farès Souhaid exprime à Ici Beyrouth sa pleine solidarité à l’égard de Bahjat Salamé.  "C’est en sa qualité de militant actif au sein de l’arène politique et civile, en lutte permanente contre l’occupation iranienne, qu’il est visé. Sa convocation est l’une des étapes de la longue marche pour la libération du pays", dit-il.

La solidarité étant le maître-mot entre compagnons de la libération, les camarades de Bahjat Salamé ont décidé d’organiser un sit-in de soutien en sa faveur mardi, devant le Palais de Justice de Baabda. Mais M. Salamé lui-même est inébranlable dans sa foi et ses convictions: "Quoi qu’il advienne, je ne fléchirai pas. Je ne me laisserai pas intimider. Je continuerai à marteler que nous sommes sous occupation iranienne, par le biais du Hezbollah et de ses armes illégales."