Dans un pays qui ploie sous de multiples crises – économique, financière, politique et sociale – dont certaines ont explosé simultanément, la stabilité relative au niveau de la sécurité peut sembler surprenante.

Le dernier incident majeur au Liban remonte à octobre dernier, lorsque des affrontements armés ont éclaté à la périphérie de Aïn el-Remmaneh, au sein de la capitale, entre des partisans du Hezbollah et des habitants du quartier en question.

Les affrontements s’étaient déroulés le 14 octobre 2021, lorsque des manifestants du Hezbollah et d’Amal qui protestaient devant le Palais de justice contre la procédure judiciaire du juge d’instruction Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, ont choisi d’investir le quartier de Aïn el-Remmaneh, fief des Forces libanaises et des Kataëb. Six personnes sont mortes ce jour-là.

L’affaire avait fait couler beaucoup d’encre et avait été exploitée à fond politiquement par un Hezbollah qui a joué à la victime, avant d’être réglée par les voies politiques. Car pour le Hezbollah, la stabilité reste une priorité au Liban où la carte de la sécurité est parfois exploitée de façon ponctuelle à des fins politiques. Les incidents de Aïn el-Remmaneh n’ont pas échappé à cette règle. Depuis, les problèmes de sécurité sont plus ou moins intrinsèquement liés à la crise socio-économique et varient entre meurtres, braquages et vols.

Quoi qu’il en soit, les appréhensions portant sur le problème de la sécurité sont bien réelles. Elles ont été exacerbées ces deux dernières années par l’accumulation des crises, notamment la dégradation du niveau de vie des Libanais, qui a fait craindre une explosion sociale. Les agents de l’ordre, dont le rôle est indispensable pour le maintien de la sécurité, ont été particulièrement affectés par la crise économique et financière. Leurs soldes ont été réduites comme une peau de chagrin, d’où les mises en garde, si cette situation perdure, contre un éventuel effondrement des forces de l’ordre qui pourrait survenir à tout moment, notamment après les défections d’un bon nombre d’agents de la sécurité.

Tout récemment, le Liban a été secoué par des révélations sur l’adhésion d’un certain nombre de jeunes originaires de Tripoli au groupe terroriste État islamique en Irak, puis par l’annonce d’un complot terroriste, déjoué par le service de renseignements des Forces de sécurité intérieure. Ces révélations ont ravivé les craintes d’une résurgence d’attaques terroristes au Liban menées par d’éventuelles cellules dormantes.

Les camps palestiniens, quant à eux, connaissent une stabilité remarquée depuis quelques années en dépit des incidents survenus en décembre dernier dans le camp de Bourj el-Chemali, dans le sud du pays. Des sources sécuritaires attribuent ce calme à la "réussite du plan de coopération et de coordination mis en place entre les différentes forces de sécurité palestiniennes en charge de l’ordre dans les camps et les appareils sécuritaires libanais". Ces sources soulignent à Ici Beyrouth que "même le différend en cours entre le Fatah et le Hamas sur la scène libanaise, qui a éclaté à la suite des incidents de Bourj el-Chemali, n’a pas affecté la situation dans les camps, laquelle requiert d’ailleurs un suivi attentif et une intensification du travail préventif en terme de sécurité".

L’ancien ministre de l’Intérieur Marwan Charbel qualifie la situation sécuritaire de "maîtrisée mais pas bétonnée en raison des divergences politiques", affirmant qu’"aucun parti politique ne souhaite actuellement un chaos sécuritaire qui nuirait à tous et n’épargnerait aucun d’entre eux". Du coup, ces partis coordonnent entre eux dès qu’ils sentent qu’un danger pointe à l’horizon, d’autant qu’ils sont parfaitement conscients des pressions extérieures visant à empêcher tout débordement. Dans un entretien avec Ici Beyrouth, Charbel attribue la stabilité sécuritaire à plusieurs facteurs, notamment "la bonne préparation des services de sécurité, leur capacité et leur efficacité à assurer une sécurité préventive de manière professionnelle et transversale, malgré les conditions économiques difficiles auxquelles sont confrontés les membres des forces de l’ordre, à l’instar de tous les citoyens". "Sans compter que leurs capacités technologiques jouent un rôle important dans la lutte contre la criminalité, en coordination avec un certain nombre de services de renseignement étrangers", ajoute M. Charbel.

L’ancien ministre estime que la situation est "sous contrôle, mais nous ne pouvons la qualifier d’exceptionnellement bonne pour autant". "Les chances de se faire surprendre par les ennemis du Liban, fort nombreux et hétérogènes, demeurent réelles", souligne-t-il avant d’indiquer que "le citoyen a un rôle important à jouer dans la coopération et la coordination avec les forces de sécurité". "Il en est de même pour certains pays qui voient un intérêt à maintenir la situation stable au Liban pour plusieurs raisons, la plus importante étant la présence des réfugiés syriens, dont des milliers risqueraient de se retourner contre ces pays si la situation venait à se détériorer, relève M. Charbel. Et c’est précisément ce cas de figure que ces pays veulent éviter à tout prix."

Cependant, les avis de l’ancien ministre et le général à la retraite Georges Nader divergent avec celui du général à la retraite Amine Hoteit, proche du tandem chiite, concernant le rôle des parties étrangères pour ce qui a trait à la sécurité. Alors que Charbel et Nader évoquent "un intérêt international à maintenir la stabilité sur le plan interne, d’où le soutien aux institutions sécuritaires, l’armée libanaise en premier lieu", le général Hoteit souligne pour sa part, dans un entretien à Ici Beyrouth, que la "décision extérieure de saper la sécurité est toujours de mise et s’inscrit dans le cadre du ‘plan Pompeo’ (du nom de l’ancien secrétaire d’État américain), mais les facteurs internes ne sont pas encore réunis" pour provoquer la détérioration.

Il reste que le général Hoteit n’exclut pas "l’existence de nouvelles tentatives visant à ébranler le Liban, notamment à l’approche des élections législatives, ce qui laisse craindre une surchauffe lors des prochains mois". Il ajoute également que "la situation en Ukraine, qui préoccupe le monde, conduit de facto à une baisse de l’intérêt international pour le dossier libanais". Et Hoteit d’ajouter que "nous craignons aussi de voir certains pays compenser leurs pertes en Ukraine en utilisant le Liban, l’Irak et la Syrie".

De son côté, le général Nader évoque deux facteurs internes, en plus du facteur externe précité, qui font que la situation sécuritaire reste "acceptable et sous contrôle", à commencer par "le peuple libanais lui-même qui ne prône pas la violence du fait de certaines valeurs sociétales et religieuses auxquelles il adhère". "En dépit de la faim et des moyens très limités qui pourraient conduire à une recrudescence des vols et des agressions, la situation reste sous contrôle", précise le général Nader. L’autre facteur interne qui contribue à maintenir la situation calme, selon Nader, est "l’armée libanaise qui remplit sa mission, nonobstant des conditions matérielles difficiles qui frappent de plein fouet ses soldats".

Selon des informations dont dispose Ici Beyrouth, les appareils sécuritaires, conscients du caractère sensible de la période précédant les élections législatives, sont mobilisés pour faire face à tout incident sécuritaire qui surviendrait.