Les évènements de ces derniers jours, à savoir le regain de tension à l’Est de l’Ukraine entre les séparatistes pro-russes et l’armée ukrainienne pourraient être le signe d’une imminence d’une invasion russe. L’histoire abonde d’exemples où un pays ayant des visées belliqueuses provoque un incident à la frontière pour justifier une intervention armée. L’invasion de la Chine par le Japon en 1931, la Pologne par Hitler en 1939, l’occupation de l’Algérie par la France en 1830, le déferlement de l’armée israélienne au Liban en 1982 etc. Ces derniers jours, la Russie a multiplié les déclarations hostiles contre Kiev en l’accusant de bombarder et de menacer les " républiques " autoproclamées de Donetsk et de Lougansk situées à l’Est de l’Ukraine. La tension est montée d’un cran vendredi, plusieurs explosions ont eu lieu dans ces territoires contraignant les autorités à ordonner une évacuation de la population vers la Russie pour les protéger des " hostilités ukrainiennes ". Par ailleurs, la Russie a affirmé une nouvelle fois, vidéos à l’appui, qu’elle est en train de procéder au retrait de ses troupes des zones frontalières avec l’Ukraine. Ces affirmations ont été rejetées par plusieurs pays occidentaux. Washington parle même d’arrivée de nouveaux renforts vers la zone portant les effectifs russes à 190000 hommes. En fin de journée, le président Biden s’est pour la première fois dit " convaincu " vendredi que Vladimir Poutine avait pris " la décision " d’envahir l’Ukraine et que la multiplication des heurts visait à créer une " fausse justification " pour lancer l’offensive dans " la semaine " ou même " les jours " qui viennent. A une journaliste qui lui demande la raison de cette affirmation, Biden lui assure que les services de renseignements en ont les preuves.

C’est donc probablement le " faux incident " que plusieurs dirigeants occidentaux avaient évoqué récemment, de Boris Johnson à Antony Blinken en passant par Joe Biden. " Tout cela correspond à la stratégie déjà utilisée par les Russes par le passé, qui consiste à créer une fausse justification pour intervenir contre l’Ukraine ", a affirmé le président Biden lors d’une allocution depuis la Maison Blanche après une nouvelle réunion virtuelle avec ses alliés européens et de l’Otan. " Il est cynique et cruel d’utiliser des êtres humains comme pions en vue de détourner l’attention du monde du fait que la Russie renforce ses troupes en vue d’une attaque ", avait déclaré juste avant un porte-parole du département d’Etat américain. " Nous pensons qu’ils prendront Kiev pour cible, une ville de 2,8 millions d’innocents ", a ajouté le président américain dans une allocution depuis la Maison Blanche.

Le président des Etats-Unis a toutefois laissé la porte ouverte au dialogue. Tant qu’une invasion ne s’est pas produite, " la diplomatie est toujours une possibilité ", a-t-il estimé, annonçant une rencontre entre son secrétaire d’Etat Antony Blinken et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov jeudi " en Europe ".

Pour " éviter le pire ", Paris a fait savoir de son côté que le président français Emmanuel Macron allait s’entretenir dimanche au téléphone avec Vladimir Poutine, au lendemain d’un appel avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky. Ce dernier envisage de se rendre à la Conférence sur la sécurité de Munich, qui se tient jusqu’à dimanche avec de nombreux dirigeants internationaux. Joe Biden s’est demandé ouvertement s’il était " sage " pour lui de quitter l’Ukraine alors que la tension est à son comble.Par ailleurs, un responsable américain a estimé vendredi que la Russie disposait de 190000 hommes aux abords de l’Ukraine et sur son territoire, en comptant les forces séparatistes. Jusqu’ici, Washington parlait de plus de 150000 soldats aux frontières du pays. C’est " la plus grande concentration de troupes militaires " depuis la Guerre froide, a dit le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, jugeant que Moscou était " en mesure, sans autre forme d’avertissement, d’attaquer " le pays voisin.Le président russe a lui accusé Kiev de nourrir le conflit et constaté une " aggravation de la situation dans le Donbass ", région où l’armée ukrainienne affronte depuis huit ans les forces prorusses soutenues par Moscou. " Tout ce que Kiev a à faire, c’est de se mettre à la table des négociations avec les représentants (des séparatistes) du Donbass et de s’entendre ", a-t-il dit, recevant son homologue du Bélarus et allié, Alexandre Loukachenko. L’agence d’Etat russe Ria Novosti a rapporté deux explosions, dont celle d’un oléoduc, à Lougansk, ville de cette région tenue par les séparatistes.

Le président de la chambre basse du Parlement russe, Viatcheslav Volodine, a assuré que la Russie allait " défendre " les " citoyens russes " qui vivent dans les territoires séparatistes en Ukraine si leurs vies étaient " menacées ". " Si la guerre commence, c’est l’Europe qui deviendra le théâtre des hostilités ", a-t-il prévenu.

L’Occident unanime a promis à Moscou des sanctions économiques dévastatrices en cas d’invasion de l’Ukraine. Elles feraient de la Russie un " paria ", a encore martelé vendredi un responsable américain. Mais Vladimir Poutine a de nouveau balayé la menace: " les sanctions seront introduites quoi qu’il arrive. Qu’il y ait une raison ou pas, ils en trouveront une car leur but est de freiner le développement de la Russie ".

Toute la journée, les belligérants dans l’est de l’Ukraine se sont accusés de violer une trêve et d’user d’armes lourdes. Dans l’après-midi, des bombardements se sont encore fait entendre à Stanitsa Louganska, ville sous contrôle ukrainien, selon des journalistes de l’AFP. Elle avait déjà été visée la veille par des tirs qui ont notamment touché une école maternelle. Le dirigeant séparatiste de la région de Donetsk, Denis Pouchiline, a de son côté annoncé une évacuation des civils vers la Russie, " en premier lieu les femmes, les enfants et les personnes âgées ". Son homologue de la " république " voisine de Lougansk, Léonid Passetchnik, a fait de même avant d’appeler " tous les hommes capables de tenir une arme à défendre leur patrie ". Et le président russe a ordonné le versement de 10.000 roubles (environ 114 euros) à chaque personne partant de ces zones. Les chaînes de télévision russes montraient des images d’évacuations d’enfants rassemblés dans la cour de leur orphelinat.

Alors que les tensions montent sur le terrain, la Russie a encore affirmé vendredi procéder au retrait d’unités militaires des abords de l’Ukraine, sans toutefois convaincre ses adversaires. " Cela n’a pas lieu ", a répliqué le ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov devant les députés. Le ministre américain de la Défense, Lloyd Austin, a même affirmé que l’armée russe envoyait " davantage de forces " et se préparait à une intervention " en se rapprochant de la frontière, en positionnant des troupes, en augmentant leurs capacités logistiques ".

La Russie nie tout projet d’invasion mais réclame des garanties pour sa sécurité, comme le retrait de l’Otan d’Europe de l’Est, autant d’exigences rejetées par l’Occident. Parallèlement, Washington et Londres ont accusé Moscou d’être " responsable " des dernières cyberattaques ayant visé cette semaine des sites internet officiels ukrainiens, malgré les dénégations du Kremlin.

Avec AFP