Aux dernières nouvelles de Kiev, cette dépêche de l’AFP: "Personne, absolument personne ne savait ce que ledit "Petourra" avait l’intention de faire en Ukraine, mais tout le monde, absolument tout le monde, savait déjà que cet individu énigmatique et sans visage voulait la conquérir, l’Ukraine, et pour la conquérir, s’apprêtait à prendre la Ville". D’après La Garde blanche de Mikhaïl Boulgakov, nous ne sommes pas en mars 2022, mais fin 1918, en pleine guerre civile quand cette capitale sur le Dniepr allait rameuter ses hommes en armes pour un dernier combat. Alors, "déchirant l’air glacé du rugissement des trompettes et du choc des cymbales étincelantes, fendant le flot noir du peuple, la première à déboucher sur la place (Sainte-Sophie), fut la division bleue. En surtout bleus et bonnets kalmouks à fonds bleus crânement relevés, marchaient en tête les Galiciens… Puis venait la force innombrable des régiments gris de Cosaques de la Sietch. Les haïdamaks d’abord… Sous un drapeau jaune et bleu criblé de balles, au son des harmonicas, s’avançait à son tour le régiment du noir colonel Kozyr-Liechko à la moustache effilée… et c’était une troupe clairsemée et étriquée qui, derrière lui, pénétrait au trot sur la place. Après le régiment de Kozyr, venaient les intrépides et invaincus cavaliers de la Mer Noire…" Et ainsi de suite défilaient ceux qui n’allaient pas capituler, mais livrer les combats désespérés jusqu’à ce que l’Armée rouge investît définitivement le pays en 1920.

Un niet à la blitzkrieg

Avis à Vladimir Poutine qui a misé sur une victoire rapide et fulgurante: la Fédération de Russie ne peut prendre Kiev comme l’URSS avait pris Prague en 1968, c’est-à-dire sans effusion de sang. Pour une comparaison quelque peu valide, il faut se reporter à l’invasion de la Finlande par Staline en 1939 et rappeler la déculottée des régiments soviétiques qui s’était ensuivi. Par ailleurs, l’histoire ukrainienne ne manque pas de héros nationaux, autonomistes et indépendantistes, qui luttèrent contre les armées russes, les blanches comme les bolchéviques, à l’instar de ce Petourra (en fait Symon Petlioura), personnalité contestée qui, quoiqu’ardent patriote, fut tenu responsable d’atroces pogroms.

L’Otan ne veut pas accorder à Zelensky une zone d’exclusion aérienne, pour éviter les risques d’escalade avec Moscou. Mais le président ukrainien aura toujours pour lui le plus fidèle des alliés: la raspoutitsa, ennemie des chenilles et des chars. Cette boue russe, qui est aussi ukrainienne, a joué des tours pendables aux envahisseurs qui, dans l’ordre, furent les Tataro-Mongols, la Grande Armée de Napoléon et les blindés de Guderian lors du dernier conflit mondial.

C’est donc à un combat de rues dans les villes accessibles par le réseau routier qu’il faut s’attendre! Mais que dire des campagnes que le dégel va transformer en mer de boue? La raspoutitsa, la sainte raspoutitsa, qu’elle soit de printemps ou d’automne, est le marqueur de la résistance à la tyrannie. Où qu’elle se tienne, flotte l’étendard de la liberté et de l’indépendance.

Et puis, et surtout, si le conflit se poursuit, ce sera, pour les Ukrainiens, une grande guerre patriotique (velikaya otyetchestvienaya vayina) comme celle que le peuple russe livra, à partir de l’été 1941, aux hordes nazies. Une grande guerre patriotique dont ce peuple, et lui seul, avait jusque-là l’exclusivité!