Mettant à profit la forte abstention des pays africains lors de l’adoption de la résolution condamnation l’intervention militaire russe en Ukraine, la présidence sénégalaise de l’Union africaine se pose en médiateur entre la Russie et l’Ukraine. Un pari risqué pour Macky Sall.

Une chronique de Francis Sahel

 

Peu important le résultat, la démarche a déjà produit son impact : en prenant l’initiative de téléphoner le mercredi 9 mars au président russe Vladimir Poutine, son homologue sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, a créé la surprise d’une médiation africaine totalement inattendue dans la crise entre la Russie et l’Ukraine.

Percée diplomatique de Poutine

Avec seize autres pays africains, le Sénégal, pourtant réputé être un fidèle allié de la France, s’est abstenu le 9 amers de condamner l’invasion russe de l’Ukraine devant l’Assemblée générale des Nations unies. A bien regarder le vote des Etats africains, il n’y a pas que les alliés historiques de Moscou en Afrique (Algérie, Angola, le Congo-Brazzaville) qui se sont abstenus. Signe de l’évolution du retour de la Russie en Afrique, d’autres Etats du continent comme l’Ouganda, la Tanzanie et même l‘Afrique du Sud ont fait le choix de l’abstention. Et ce n’est pas tout : 21 pays autres du continent parmi lesquels de nombreux pays francophones tels que le Cameroun, le Togo et le Mali ont choisi de jouer aux abonnés absents en refusant délibérément de prendre part au vote.

Entre très fortes abstentions et boycott du vote, la position prise par les pays africains aux Nations unies traduit la nette percée diplomatique, économique et même militaire de la Russie en Afrique ces dernières années. En 2018, les échanges économiques entre la Russie et l’Afrique étaient déjà de l’ordre de 20 milliards de dollars. En recevant l’année suivante à Sotchi ses homologues africains, le président Poutine s’était engagé à doubler le volume des échanges commerciaux entre son pays et le continent africain. Outre le levier économique, la percée russe en Afrique se traduit en matière militaire tant sur le plan de la vente d’équipement, de l’envoi d’instructeurs ainsi que la présence de la société privée de sécurité Wagner en Centrafrique, au Mali, au Mozambique. La Russie vient d’ailleurs de conclure avec le Soudan un accord bilatéral pour l’installation d’une base militaire ce pays africain.

Les accents révolutionnaires de Macky Sall

Derrière l’offre de médiation de Macky Sall, apparait la volonté du chef de l’état sénégalais de marquer de son empreinte sa présidence de l’Union africaine. Porté à la tête de l’organisation panafricaine début février, le président Sall a profité du 6 ème sommet Union africaine/Union européenne pour indiquer qu’il n’entendait pas se résoudre à un rôle purement honorifique. Il avait ouvertement critiqué la nature du partenariat euro-africain et plaidé pour des relations d’égal à égal entre l’Afrique et l’Europe.

Avec des accents " révolutionnaires ", Macky Sall est allé jusqu’à dénoncer l’hypocrisie de l’Europe qui demande aujourd’hui à l’Afrique de ne pas utiliser les énergies fossiles alors même qu’elle s’en est abondamment servie pour son développement par le passé. Avant de se rendre à Bruxelles, le chef de l’Etat sénégalais s’est arrêté à Paris où il a assisté aux côtés du président du Conseil européen Charles Michel et du président ghanéen Nana Akufo-Addo à l’annonce par le président Macron du retrait de Barkhane du Mali. A la surprise générale, et pour ne pas froisser une large partie de l’opinion africaine, Macky Sall s’est abstenu de soutenir publiquement la décision de la France de retirer Barkhane et la force européenne Takuba du Mali.
" Nous comprenons la décision française ", avait sobrement déclaré le président sénégalais.

L’agenda intérieur sénégalais

L’autre fait marquant de ce début de la présidence sénégalaise de l’Union africaine, c’est la promptitude avec laquelle l’Union africaine a réagi aux allégations de mauvais traitements infligés à des ressortissants africains qui tentent de s’enfuir de l’Ukraine. Moins trois jours après le début de l’invasion russe en Ukraine, l’organisation panafricaine a réagi avec une rapidité et un ton qui tranchent avec sa nonchalance habituelle. Une sorte d’effet Macky Sall que le président sénégalais entend imposer pour ses 12 mois à la présidence de l’Union africaine.

S’i Macky Sall a à cœur de profiter du tremplin de la présidence de l’Union africaine pour asseoir sa stature internationale, c’est aussi pour en tirer des dividendes politiques au plan intérieur. Macky Sall cherche aussi à profiter d’une conjoncture nationale favorable. L’euphorie de la victoire historique (la première pour le pays) des Lions du Sénégal à la coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football ne s’est pas encore estompée. Surfant sur la vague, Macky Sall a pris la décision inattendue de donner le nom de son prédécesseur Abdoulaye Wade au plus grand stade de football du pays qui vient d’être construit à Diamnadio près de Dakar par les Turcs. L’enjeu pour le président sénégalais est de maintenir cette dynamique favorable jusqu’aux prochaines élections législatives prévues en juillet 2022. Un scrutin d’autant plus incertain pour le camp présidentiel que le pouvoir a perdu plusieurs grandes (Dakar, Thiès, Ziguinchor) lors des dernières élections organisées en janvier 2022.

Pour le président sénégalais, l’enjeu le plus important reste pourtant la présidentielle de 2024. L’élection de tous les dangers pour le Sénégal dans une Afrique de l’Ouest, théâtre récemment de 4 coups d’Etat militaires (Mali 1 et 2, Guinée, Burkina Faso).