De nombreuses et fortes contradictions commencent à brouiller l’alliance entre l’Iran et la Russie, qui n’est plus ce qu’elle était avant que le président russe Vladimir Poutine n’envahisse l’Ukraine.

Au rang de ces complications figure, à l’aune du nouvel ordre mondial que produira cette invasion, les intérêts de l’Iran avec l’Occident qui aura besoin du pétrole et du gaz iraniens, si des sanctions sont imposées sur la Russie.

L’évolution de la position russe au sujet de l’accord nucléaire constitue une autre pierre d’achoppement, comme témoigne la déclaration du ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, qui avait affirmé que son pays "exige des garanties écrites selon lesquelles des sanctions n’affecteront pas le droit de la Russie à investir et à maintenir une coopération commerciale, économique et militaire avec l’Iran". Dans le même temps, le ministre iranien des Affaires étrangères Hussein Amir Abdellahian insistait sur le fait que son pays "ne permettra à aucun facteur extérieur de compromettre ses intérêts nationaux dans le cadre des négociations de Vienne".

L’Iran, qui est pressé de conclure un accord sur le nucléaire avec les Américains et d’obtenir une levée des sanctions que Washington lui impose, montre de la sorte qu’il ne manquera pas une occasion pour rappeler à Vladimir Poutine qu’elle dispose de plus d’un levier dont il pourrait se servir afin, entre autres, de véhiculer des messages.

L’annonce par Téhéran de la mort de deux officiers des Gardiens de la révolution lors du dernier raid israélien sur des positions proches de Damas fait partie de ces messages. L’Iran reconnaît de la sorte que l’État hébreu a atteint son objectif en frappant la présence iranienne en Syrie, ouvrant ainsi la voie à toutes sortes d’analyses et de conjectures sur sa riposte. Le plus important cependant dans cette affaire, reste le paramètre russe, surtout quand on sait que c’est Moscou et non l’Iran qui a la main haute en Syrie et que les Israéliens coordonnent avec les Russes en amont de chaque raid contre des objectifs iraniens.

Quel est donc le message iranien à la Russie? Les signes d’impatience que Téhéran commence à manifester ainsi face aux attaques israéliennes sur lesquelles il se taisait dans le passé sous-tendent une volonté iranienne d’une révision de l’alliance avec Moscou en Syrie, alors que la République islamique aurait pu se contenter de faire parvenir à la Russie un message critique de son alliance tacite – qu’elle avait cautionnée dans le passé, soit dit en passant – avec Israël en Syrie.

Les défenseurs des positions iraniennes s’empressent d’insinuer que la réalité sur le terrain en Syrie a changé après le dernier raid israélien et qu’elle n’est plus liée à l’équilibre de la dissuasion et au maintien d’équations illusoires, que l’Iran – et avec lui le Hezbollah – ne pouvait que promouvoir.

Dans cet ordre d’idées, une riposte iranienne n’épargnera pas cette fois les Russes, qui ne veulent pas protéger l’espace aérien syrien contre les violations israéliennes, d’autant que selon ces mêmes analystes, c’est Moscou qui a aujourd’hui plus que jamais besoin d’un appui iranien et qu’il se doit par conséquent de préserver ses intérêts.

Autrement dit, Téhéran cherche à montrer que ce n’est plus lui qui a besoin de l’aide russe pour maintenir le régime de Bachar el-Assad en Syrie, qui d’ailleurs n’aurait pu se maintenir en place sans les efforts iraniens et le concours du Hezbollah dans les opérations militaires. Ce but est désormais atteint et la donne internationale a changé à plus d’un niveau.

Avec le conflit d’intérêts qui a émergé après l’invasion russe de l’Ukraine et le risque conséquent d’un changement des rapports de force sur le plan international, l’Iran considère peut-être qu’il lui faut également réviser ses propres intérêts, surtout si les Russes envisageaient d’instrumentaliser les négociations de Vienne à leur avantage au détriment des intérêts de Téhéran.

Aussi, les Iraniens peuvent croire que le fait de brandir le spectre d’une nouvelle donne sur le terrain, motivée par la nécessité d’une riposte contre Israël qui ébranlerait les équilibres actuels, est une position stratégique et un moyen de pression sur Moscou. L’objectif est de pousser la Russie à retirer les conditions qu’elle pose dans le cadre des pourparlers de Vienne afin de contourner les sanctions imposées contre elle par les Occidentaux mais qui, au final, entravent ces négociations.

Un tel scénario ne fait qu’illustrer cependant l’ampleur de la confusion iranienne après les exigences de garanties demandées par Moscou pour signer l’accord de Vienne. Cette confusion se fait également sentir dans les positions du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah. Ce dernier veut toujours orienter le Liban vers l’Est et demande à Beyrouth de renforcer ses relations économiques et financières avec la Russie au mépris des États-Unis, dont l’Iran cherche pourtant à se rapprocher discrètement, au point de ne pas prendre position en faveur de Vladimir Poutine.

Les effets et l’évolution de cette confusion restent ouvertes à des possibilités contradictoires, en attendant de voir l’orientation que prendra la guerre entre la Russie et l’Ukraine et ses répercussions sur les rapports de force entre les grandes puissances… Peut-être que les intérêts de Téhéran commanderont un revirement vers l’Ouest. On pourrait alors assister à un changement de position iranien à l’antipode de toute la rhétorique du Wali el-Faqih au sujet du Grand Satan, au point d’en changer l’identité.