Jetant son dévolu sur Marioupol, l’armée russe a bombardé hier une école dans laquelle s’étaient réfugiées 400 personnes. La ville martyre a déjà eu son lot de destructions: le théâtre de la ville, dont le soubassement est toujours en cours de déblaiement pour sauver des civils bloqués sous un amas de pierres. Le président Zelensky a dénoncé un " acte de terreur ", alors que le consul de Grèce, qui est parvenu à sortir de la ville assiégée, a comparé Marioupol à " Grozny, Alep, Guernica ou Stalingrad ". Plus à l’ouest, tout près de la frontière avec le Bélarus, le maire de Tchernihiv a parlé d’une " catastrophe humanitaire absolue ", la ville subit un bombardement incessant visant les quartiers résidentiels. Chaque jour qui passe confirme une fois de plus que l’armée russe applique la même tactique cruelle: bombarder les villes assiégées sans distinctions entre civils et militaires afin de pouvoir l’occuper sans avoir recours à des combats de rues. Résultat, les civils constituent les principales victimes. Le HCR a déclaré hier que 10 millions d’Ukrainiens ont dû quitter leurs domiciles pour fuir la mort.

 

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dénoncé dimanche un nouvel " acte de terreur " après le bombardement d’une école de Marioupol et a dit vouloir négocier directement avec Vladimir Poutine, mais la Russie continuait son siège des villes ukrainiennes et annonçait avoir tiré un nouveau missile hypersonique.Ces bombardements meurtriers, notamment sur la ville portuaire assiégée de Marioupol dont les rues sont, selon des témoignages, jonchées de cadavres, ont lieu alors que les négociations entre délégations peinent à aboutir, bien que la Turquie ait affirmé dimanche que les parties étaient " proches d’un accord ".  " Je suis prêt à des négociations avec (Vladimir Poutine). Je suis prêt depuis les deux dernières années et je pense que sans négociations, on n’arrêtera pas la guerre ", a déclaré Volodymyr Zelensky dans un entretien diffusé par CNN.Il avait auparavant dénoncé le bombardement de l’école d’art de Marioupol, détruite par des frappes russes alors que 400 personnes – femmes, enfants et personnes âgées – y étaient réfugiées selon les autorités locales.  " Nous savons que le bâtiment a été détruit et que des gens pacifiques sont toujours sous les décombres. Le bilan concernant le nombre de victimes est en train d’être clarifié ", a indiqué la municipalité sur Telegram. Infliger " une chose pareille à une ville pacifique (…), c’est un acte de terreur dont on se souviendra même au siècle prochain ", a dit M. Zelensky, dénonçant un nouveau " crime de guerre ".  L’Ukraine avait déjà accusé la Russie d’avoir bombardé mercredi un théâtre de la ville où s’étaient réfugiés des centaines d’habitants dans un abri souterrain. Aucun bilan n’est encore disponible.
Guernica ou Alep

Le consul général de Grèce à Marioupol Manolis Androulakis, revenu dimanche à Athènes de Marioupol, a comparé la ville ukrainienne aux villes martyres de Guernica ou encore Alep.  " Marioupol fera partie de la liste des villes dans le monde qui ont été complètement détruites par la guerre, comme Guernica, Stalingrad, Grozny, Alep… ", a-t-il déclaré à des journalistes.

A Kiev, la capitale, un obus a explosé dimanche juste devant un immeuble d’habitation, blessant au moins cinq personnes, dont deux ont été hospitalisées, a annoncé le maire Vitali Klitschko.  Le bâtiment de dix étages, situé dans le quartier de Sviatiochine, est très endommagé, ont constaté sur place des journalistes de l’AFP selon lesquels on peut voir les traces d’un incendie, tandis que toutes les fenêtres ont été soufflées. Deux voitures calcinées gisaient dans la cour recouverte de débris.  " Ma sœur était sur le balcon quand c’est arrivé, elle a failli être tuée ", a raconté Anna, 30 ans.

 

Trois personnes ont par ailleurs été blessées dimanche selon les services d’urgence dans une frappe aérienne dans la région de Jytomyr, dans l’ouest, où des frappes vendredi sur une caserne avaient fait des dizaines de morts.Les autorités ukrainiennes ont fait cependant état d’une accalmie durant la journée de dimanche.  " Le front est pratiquement figé ", il n’y a " pratiquement pas eu de tirs de missiles sur les villes ", et " l’aviation russe n’est quasiment pas active ", il y a juste des " actions tactiques " des deux camps, a déclaré lors d’un briefing à la mi-journée Oleksiy Arestovitch, conseiller de la présidence ukrainienne. Mais après minuit, la capitale a de nouveau subi des raids aériens et des bombardements en provenance des villes satellites occupées par les Russes.

Dans un communiqué, le ministère russe de la Défense, qui affirme ne cibler aucun objectif civil ou zones d’habitation, a de son côté déclaré avoir détruit dans la région de Mykolaïv une réserve de carburant frappée " par des missiles de croisière ‘Kalibr’ tirés depuis la mer Caspienne, ainsi que par des missiles balistiques hypersoniques tirés par le système aéronautique ‘Kinjal’ depuis l’espace aérien de la Crimée ".  Ces missiles appartiennent à une famille d’armes " invincibles " de nouvelle génération, vantées par Vladimir Poutine dans sa confrontation avec les Occidentaux.  En utilisant ce genre d’armes, la Russie " tente de retrouver un élan " dans le conflit où son armée s’est enlisée, a affirmé le ministre américain de la Défense Lloyd Austin, estimant que ces armements ne " changeaient pas la donne ".

Dix millions ont quitté leur domicile

Dans l’immédiat, la guerre en Ukraine se double d’une catastrophe humanitaire, et selon l’ONU, dix millions d’Ukrainiens, soit un quart de la population, ont dû quitter leur domicile pour fuir les combats.  " La guerre en Ukraine est si dévastatrice que dix millions de personnes ont fui, soit déplacées à l’intérieur du pays, soit réfugiées à l’étranger ", a déclaré le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi.

La situation humanitaire à Marioupol, comme dans plusieurs autres villes assiégées, est dramatique. Des familles ont raconté les cadavres gisant plusieurs jours dans les rues, la faim, la soif et le froid mordant des nuits passées dans des caves avec des températures inférieures à zéro.  Les bombardements ont aussi fortement endommagé l’usine sidérurgique et métallurgique Azovstal de Marioupol, cité portuaire et industrielle d’importance cruciale pour les exportations d’acier produit dans l’est du pays.  " Une des plus grandes usines métallurgiques d’Europe est détruite. Les pertes économiques pour l’Ukraine sont immenses ", a souligné la députée Lesia Vasylenko.

Dans le nord du pays, le maire de Tchernihiv, Vladislav Atroshenko, a dépeint une " catastrophe humanitaire absolue " dans sa ville.  " Les tirs d’artillerie indiscriminés dans les quartiers résidentiels se poursuivent, des dizaines de civils sont tués, des enfants et des femmes ", a-t-il raconté à la télévision.  " Il n’y a pas d’électricité, de chauffage et d’eau, l’infrastructure de la ville est complètement détruite ", a-t-il affirmé.

Les frappes n’ont pas cessé ces derniers jours à Kiev, la capitale, à Mykolaïv et à Kharkiv, grande ville russophone du nord-ouest, où au moins 500 personnes ont été tuées depuis le début de la guerre, selon des chiffres officiels ukrainiens.  Pour le ministère britannique de la Défense, la Russie " n’a pas réussi à prendre le contrôle de l’espace aérien et s’appuie largement sur des armes à distance lancées depuis la sécurité relative de l’espace aérien russe pour frapper des cibles en Ukraine ".  Selon les militaires ukrainiens, les troupes russes ont effectué 291 frappes de missiles et 1.403 raids aériens depuis le début de l’invasion le 24 février.

Dans une intervention postée sur internet dans la nuit de samedi à dimanche, le président Zelensky a affirmé, s’adressant aux Russes, que les cadavres de soldats russes jonchaient les champs de bataille et n’étaient pas ramassés.  " Je veux demander aux citoyens de Russie: Qu’est-ce qu’on vous a fait pendant des années pour que vous cessiez de remarquer vos pertes ? " a-t-il dit.  Selon lui, plus de 14.000 soldats russes ont péri depuis le début de l’invasion. La Russie parle de 500 morts.  Le commandant adjoint de la Flotte russe de la mer Noire, Andreï Paliï, a lui-même été tué dans les combats près de Marioupol, ont annoncé dimanche des responsables russes.

Zelensky s’en prend à Israël

Le président ukrainien, qui multiplie les injonctions à soutenir l’Ukraine depuis le centre de Kiev où il est resté retranché, a demandé dimanche à Israël de " faire un choix " en soutenant concrètement l’Ukraine face à la Russie, lors d’une allocution en visioconférence devant les députés de la Knesset.  " L’indifférence tue, les calculs tuent ", a-t-il dit, alors qu’Israël s’est abstenu jusqu’à présent de prendre position, ménageant ses liens avec Moscou.

L’Australie, de son côté, a annoncé dimanche un embargo sur ses exportations vers la Russie d’alumine et de minerai d’aluminium, " ce qui limitera sa capacité à produire de l’aluminium ", un matériau stratégique pour l’industrie de l’armement notamment.  Dans une interview au Sunday Times, le Premier ministre britannique Boris Johnson a appelé à son tour la Chine à prendre position alors que " le nombre d’atrocités russes augmente ".  L’ambassadeur chinois aux Etats-Unis, Qin Gang, a qualifié dimanche de " désinformation " les assertions selon lesquelles Pékin pourrait fournir une assistance militaire à Moscou, dans des déclarations à la chaîne CBS.

Dans le cadre des vastes sanctions économiques imposées à la Russie par les Occidentaux, la France a de son côté indiqué dimanche avoir immobilisé près de 850 millions d’euros d’avoirs d’oligarques russes – yachts, appartements, comptes bancaires – sur son territoire.  Quant au groupe Nestlé, interpellé samedi par le président Zelensky sur la poursuite de ses activités en Russie " quand nos enfants meurent ", il a affirmé dimanche avoir réduit ces activités et ne plus faire " aucun bénéfice " dans ce pays…

Avec AFP